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La lutte anti-corruption menée par Xi Jinping a une conséquence inattendue : les exportations de montres suisses accusent une chute brutale.
Par FRÉDÉRIC THERIN (À MUNICH)
Cachez cette montre que je ne saurais voir... Les Chinois avaient pris l'habitude depuis quelques années de s'acheter ou de se faire offrir des tocantes hors de prix pour afficher leur réussite et leur fortune. Les grandes marques suisses ont gagné gros, très gros, grâce à cette mode un rien tape-à-l'oeil. La valeur des exportations horlogères de la Confédération vers la République populaire est ainsi passée de 45 millions de francs suisses en 2000 à 1,65 milliard en 2012, selon la Fédération de la profession. Mais les meilleures choses ont une fin et il n'est pas sûr que les Rolex, Tag Heuer et autres Blancpain érigent de sitôt une statue en l'honneur de Xi Jinping...
Le nouveau secrétaire général du Parti communiste chinois a en effet lancé une vaste campagne de lutte contre la corruption dans son pays. Adepte de la méthode forte, l'homme fort de l'empire du Milieu a encouragé l'arrestation de 20 000 fonctionnaires en un an. L'ancien directeur du Bureau d'inspection de la sécurité de la province de Shaanxi dans le nord du pays, Yang Dacai, a ainsi été condamné à quatorze ans de prison. Surnommé "Frérot les montres", il possédait au moins onze modèles de luxe d'une valeur cumulée de plusieurs dizaines de milliers d'euros. Ces coups de filet de la police ont découragé les fonctionnaires d'accepter des modèles hors de prix quand des promoteurs immobiliers voulaient les "remercier" de leur entremise lors de la négociation d'un contrat. Les nouveaux riches ont, eux aussi, reboutonné les manches de leurs chemises pour cacher leurs chronographes afin de ne pas alerter la curiosité des agents du fisc.
Licenciements et chômage partiel
Pour ne rien arranger, Pékin a également décidé d'interdire aux stations de radio et de télévision de tout le pays de diffuser des publicités incitant à l'achat de produits luxueux comme les montres. La conséquence de cette annonce couplée à la chasse contre la corruption n'a pas été longue à se faire sentir. L'an dernier, les exportations horlogères helvètes vers la Chine ont reculé de 12,5 % pour atteindre 1,44 milliard de francs suisses. Et sur le premier semestre de son exercice, Richemont a enregistré entre mars et septembre 2014 une chute brutale de 23 % de son résultat net semestriel, à 907 millions d'euros. Le géant aux vingt marques dont Cartier, Van Cleef & Arpels, Jaeger-Le-Coultre, Montblanc, Piaget, IWC, Baume & Mercier et Officine Panerai affiche un recul de 4 % de ses ventes en République populaire. Lors des six mois précédents, la chute avait été encore plus brutale (- 10 %). Les revenus du groupe suisse à Hong Kong et à Macao ont aussi baissé. Un coup dur quand on sait que l'ancien protectorat britannique est le premier marché de la compagnie. Les manifestations en faveur de la démocratie, qui ont paralysé le centre-ville pendant plusieurs jours, ont découragé la clientèle chinoise à faire le déplacement sur le territoire qui impose des taxes inférieures à celles de la Chine continentale sur les produits de luxe.
Face aux nuages qui ne cessent de s'amonceler au-dessus de leur ancien eldorado, les grandes marques suisses ont décidé de réduire leur voilure. Richemont a mis au chômage partiel, le 1er novembre, les deux cent trente employés de la manufacture Cartier de Villars-sur-Glâne. Et d'autres réductions des horaires de travail pourraient être prochainement annoncées, a révélé le directeur financier du groupe Gary Saage. Le recrutement de nouveaux employés a également été ralenti. Tag Heuer, une filiale de LVMH, a, pour sa part, licencié quarante-six de ses huit cents salariés dans la Confédération et quarante-neuf employés vont être mis en chômage technique jusqu'à la fin de l'année. Le carillon suisse se transforme peu à peu en un glas sinistre.
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