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Durant deux décennies, Frank Vaucher fut «le» régleur de précision de Longines. Ses archives sont aujourd’hui accessibles au public à Saint-Imier.
Richard Vaucher, le fils de Frank décédé en 2007, justifie: «Nous n’avons pas voulu laisser le temps tout effacer!» Cinq ans plus tard, en 2012, avec sa sœur et les autres héritiers, il remet au Centre jurassien d’archives et de recherches économiques (CEJARE), à Saint-Imier, l’héritage de son père, cet horloger d’exception, régleur de précision chez Longines et spécialiste des grandes complications. Aujourd’hui, après un long et patient processus de tri, de classement, d’inventaire et de mise en valeur par l’institution, le Fonds Frank Vaucher est accessible aux chercheurs, aux horlogers, aux spécialistes et aux passionnés désireux d’investiguer dans l’histoire de la chronométrie au travers des documents conservés par ce régleur de précision émérite.
«Ce fonds est capital pour la compréhension de la chronométrie et du réglage de précision dans les entreprises horlogères, deux domaines qui vivent une sorte de renaissance, mais également pour l’épopée des concours d’observatoire», relève Philippe Hebeisen, responsable du CEJARE. Si celle-ci remonte à 1790 avec les premières épreuves tenues à Genève et un premier concours de chronométrie en 1816, le concours de Neuchâtel voit quant à lui le jour en 1860. C’est dans ces deux «compétitions», et spécialement au concours de l’Observatoire de Neuchâtel, que s’illustra Frank Vaucher, remportant pas moins de 28 Prix Guillaume (qui récompensent des prestations particulièrement remarquables) avec 265 chronomètres (de poche ou bracelets) primés par l’institution.
Un demi-siècle d’histoire vivante
Les documents réunis (croquis, ouvrages de références pour la formation, histoire générale de l’horlogerie, historiques d’autres entreprises du secteur, photographies, etc.) couvrent la seconde partie du 20ème siècle et plus spécialement les cinquante années d’évolution des techniques horlogères où Frank Vaucher a travaillé pour son seul employeur pendant 47 ans, Longines. Dans l’entreprise imérienne, où il entre en 1947 dès la fin de son apprentissage à l’Ecole d’horlogerie de Saint-Imier, il passe par tous les départements. Avant de devenir, en 1954, régleur de précision et de décrocher ensuite, entre 1955 et 1969, plus de 250 prix et records à l’Observatoire de Neuchâtel pour les pièces qu’il a réglées. En 1966, il établit même un «record du monde» avec la note de 1,72 dans la catégorie des chronomètres de poche, note toujours inégalée à ce jour. Pendant cette période de plus de dix-huit ans, il a aussi participé à l’amélioration de différents calibres pour la marque au sablier ailé. «D’importance capitale, ces records permettaient aux entreprises de se démarquer de leurs concurrentes», souligne Pierre-Yves Donzé, historien de l’horlogerie et professeur associé à l’Université de Kyoto (Japon).
Mais 1972 et l’avènement du quartz sonnent le glas des concours et la fin des régleurs. Frank Vaucher, dont les qualités d’inventeur et de constructeur sont reconnues, rejoindra alors les départements Recherches, puis Montages spéciaux et enfin Création de Longines. Il s’occupera de la préparation des montres pour les missions scientifiques, du repassage des montres compliquées, de la mise au point de spécialités, de l’invention de calibres ou encore de l’emblématique «Lindbergh». N’empêche qu’avec la crise horlogère des années 70 et les faillites qui ont suivi, de nombreux documents, tout comme une grande partie du savoir-faire détenu par ces horlogers-artisans, ont simplement disparu. «D’où l’importance de ce fonds d’archives, qui réunit les annales d’un homme talentueux de renommée mondiale et pas uniquement les dossiers d’une entreprise, comme c’est généralement le cas au CEJARE», rappelle l’historien qui a été le premier responsable de cette institution à sa création en 2002. Car le Fonds Frank Vaucher retrace, d’une part, la carrière exceptionnelle d’une légende de la chronométrie, soulignant au passage un nouveau paradigme: l’engagement immédiat des meilleurs régleurs par une seule entreprise au sein d’un team attitré, comme chez Longines, Omega, Ulysse Nardin, Vacheron Constantin ou Zenith, au contraire des régleurs qui travaillaient auparavant sous mandat pour plusieurs marques. D’autre part, ce fonds permet aussi de conserver un savoir-faire qui a forgé la réputation de l’horlogerie helvétique. Pierre-Yves Donzé complète: «Depuis une vingtaine d’années, on assiste au grand retour de ces horlogers-artisans. La tradition horlogère est à nouveau mise au goût du jour. Les marques cherchent à mettre en lumière le lien qui les unit étroitement à ce savoir-faire des horlogers-artisans. C’est devenu un important argument de marketing.» L’Histoire laisserait-elle deviner là un grand retour de balancier?
Fédération de l'industrie horlogère suisse
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