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PAR MICHEL JEANNOT Avec sa nouvelle certification, Omega a un triple objectif : imposer une nouvelle norme à l’ensemble de l’industrie, se positionner en leader et rendre obsolètes les certifications des concurrents.
Lorsque Nick Hayek, CEO de Swatch Group, se déplace à une conférence de presse de l’une de ses marques, l’annonce est en principe d’importance. Ce fut le cas cette semaine lorsque la direction d’Omega s’est déplacée opportunément à Genève pour annoncer le lancement d’une nouvelle certification garantissant la bonne marche de ses montres en dépit de champs magnétiques extrêmes.
De quoi s’agit-il ? Alors que d’innombrables objets du quotidien (téléphones portables, ordinateur, fermeture magnétique des sacs à main, etc.) émettent d’importants champs magnétiques, et que ces derniers peuvent avoir une influence néfaste sur la bonne marche – et donc la précision – des mouvements mécaniques, les horlogers se sont pour l’heure assez peu intéressés à ces questions.
En réalité, ils l’ont fait dans les années 50, ont trouvé des parades, mais pour des résistances à des champs magnétiques n’ayant aucune commune mesure avec ce qu’ils sont aujourd’hui. C’est ainsi que Rolex a fait œuvre de pionnier en présentant en 1956 sa montre Milgauss, résistante, comme son nom l’indique, à des champs magnétiques de 1000 gauss. Référence chez Rolex, ce modèle, un temps abandonné, est de nouveau en collection. Rappelons au passage que Rolex est la première marque horlogère suisse, Omega occupant le second rang.
La carte officielle
En présentant l’an dernier son mouvement Master Co-Axial résistant à des champs magnétiques de 15'000 gauss – l’équivalent du rayonnement émis par un appareil d'imagerie par résonance magnétique (IRM) – Omega posait la première pierre de sa stratégie. En annonçant l’établissement avec l’Institut fédéral de métrologie (METAS) d’une nouvelle norme et d’une certification officielle pour garantir cette résistance à 15'000 gauss, la marque-phare de Swatch Group pose un second jalon.
En s’associant à l’Institut fédéral de métrologie – garant de toutes les mesures officielles en Suisse - Omega joue une excellente carte et entend donner un caractère suisse, indépendant et indiscutable à cette nouvelle certification. Une certification qu’elle veut ouverte à toutes les marques, au-delà même de l’horlogerie (pacemakers, appareils auditifs, etc.). Directeur de l’Institut, Christian Bock a toutefois pris le soin de préciser que l’indépendance de METAS n’était nullement remise en cause par cette norme établie avec Omega, et que tout autre horloger pourrait également faire appel à l’Institut pour garantir ou définir une nouvelle norme.
Reste que pratiquement aucun porteur de montre mécanique n’a aujourd’hui conscience de la problématique des champs magnétiques et de leurs conséquences néfastes sur la bonne marche des garde-temps. En braquant les projecteurs sur cette faiblesse, Omega joue un coup de billard à deux bandes. Elle s’assure d’une part le leadership dans un domaine technique précis lié à la fiabilité, et elle relègue assez loin tous ses concurrents, y compris toutes les autres marques de Swatch Group, ce qui n’est pas sans conséquence.
Si les premières certifications « 15'000 gauss » sont attendues en 2015, de nombreux points ne sont pas encore réglés – à commencer par le montant qu’Omega versera à l’Institut fédéral de Métrologie - ce qui incite à s’interroger sur le timing de l’annonce de la marque biennoise.
Qui pour rejoindre Omega ?
Fin stratège, Nick Hayek a aujourd’hui beau jeu d’expliquer que cette nouvelle certification est ouverte à l’ensemble des marques horlogères et qu’elle procède de la nécessité pour l’horlogerie suisse de se surpasser, d’innover et d’aller toujours plus loin. La réalité est un peu plus complexe : l’insensibilité aux champs magnétiques est rendue possible par l’utilisation de nombreux composants en silicium et autres matériaux innovants.
Or de multiples brevets – dont certains déposés par Swatch Group - entravent toute recherche ou avancée dans ces domaines. Pour l’exemple, à l’exception de Swatch Group, de Rolex, de Patek Philippe et d’Ulysse Nardin, aucune autre marque n’est aujourd’hui autorisée à produire des spiraux en silicium. Or à moins de proposer une véritable rupture technologique (nécessitant des investissements conséquents que Nick Hayek appelle de ses vœux de la part de ses concurrents), les solutions sont pratiquement connues et non partagées.
Une fois devenue réalité – et pour peu qu’elle parvienne à une certaine notoriété - cette nouvelle norme pourrait faire du tort au Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres (COSC), certification horlogère la plus répandue (bien que seuls 5% de la production suisse y réponde) à laquelle font aujourd’hui massivement appel Rolex, Omega et Breitling. Or le COSC ne certifie que la bonne précision (-4/+6 secondes par jour) du mouvement mécanique non emboîté, tandis que la nouvelle certification annoncée par Omega va certifier à la fois la bonne marche (entre 0 et +5 secondes par jour) du mouvement non emboîté, puis de la montre une fois le mouvement emboîté. Avec, cerise sur le gâteau, la garantie que le mouvement continue à fonctionner correctement lorsqu’il est exposé à des champs magnétiques de 15'000 gauss.
Omega a incontestablement fait un bond en avant en rendant ses montres pratiquement insensibles aux champs magnétiques. Avec cette nouvelle certification, elle veut désormais que cela soit reconnu de tous.
Ainsi, le pari d’Omega est double puisqu’il tient soit dans sa capacité à imposer seule sa nouvelle certification (et donc s’inscrire en leader), soit à être suffisamment convaincante sur les perturbations engendrées par les champs magnétiques pour obliger ses concurrents à s’en préoccuper également. De là à ce que ces derniers rejoignent Omega sur la certification développée par elle, il y a un pas qui n’est sans doute pas près d’être franchi.
bilan.ch
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