|
Une boutique écoulait des garde-temps assemblés en douce par un horloger qui dérobait des pièces sur son lieu de travail.
Plus fort et plus subtil que la fausse montre de luxe remarquablement imitée fabriquée en Asie: la vraie montre de prestige confectionnée en douce avec des pièces d’origine et vendue en Suisse dans une boutique spécialisée dans l’horlogerie haut de gamme, à un prix sans concurrence. Le Tribunal de police de Lausanne jugeait la semaine dernière un commerçant qui était le dernier maillon de cet étonnant business. «Mon client admet la matérialité des faits, mais il dit qu’il ignorait la provenance illicite de ses montres», a plaidé son avocat.
Cet ancien gérant associé vient d’être condamné pour recel à 180 jours-amendes à 30 francs avec sursis. Il a échappé de peu à une condamnation retenant aussi la falsification de marchandise. Les autres protagonistes, dont l’horloger «bidouilleur», ont déjà tous été condamnés.
De la main à la main
L’affaire remonte à près de quatre ans. Elle a valu huit jours de prison préventive à ce responsable de la boutique. Le temps pour la justice de démêler sans interférence un écheveau passablement embrouillé. «Je reconnais que j’aurais dû me poser plus de questions», admet l’accusé sur le ton de «si j’avais su». Depuis, le magasin a changé de raison sociale et de détenteur. Il a toujours pignon sur rue et semble tirer son épingle du jeu dans le droit chemin.
Entendu au procès, l’intermédiaire qui fournissait les fausses vraies montres est persuadé que le commerçant connaissait la provenance de ces garde-temps de luxe «tombés du camion»: «Pour moi, il savait que ces montres sans boîte ni papiers avaient été assemblées avec des pièces mises au rebut, récupérées sur son lieu de travail par mon beau-frère qui était horloger à la manufacture Officine Panerai, à Neuchâtel.» Et d’affirmer que, sur le lot – une petite dizaine de Panerai Luminor Marina 1950 GMT –, il y en avait quand même au moins une sans reproche, provenant selon lui de la vente à prix préférentiel au personnel de la maison. Ces montres étaient payées de la main à la main, à 60% du prix des originales.
La boutique possédait aussi une vitrine sur Internet. Les choses se sont gâtées lorsque Panerai a repéré sur son site une de ses montres apparemment neuves, laquelle était proposée pour 9000 francs, alors que le prix catalogue était de 14'000 francs. La marque a dépêché une personne pour acquérir l’objet afin d’en avoir le cœur net. Cette pièce était proposée à la vente accompagnée d’un faux certificat. Son origine n’a pas pu être établie avec certitude, quand bien même l’accusé prétend qu’il s’agissait d’une montre restituée à son propriétaire après une première affaire de vol à la manufacture.
L’affaire se complique lorsqu’on ajoute que la boutique a cédé un certain nombre de ces montres douteuses contre des iPhone soustraits à un opérateur de téléphonie mobile par l’un de ses employés. Interrogé comme témoin, cet indélicat tient à rappeler qu’il n’a pas été condamné pour vol, mais pour abus de confiance.
Le vendeur de montres jure quant à lui qu’il n’avait aucune raison de penser que ces téléphones étaient de provenance illicite et, dans le doute, le juge ne s’est pas attardé sur ce cas.
Ce n’est pas tout…
La boutique avait aussi acquis deux montres Richard Miller neuves, une Mariner et une Casablanca, pour le tiers de leur prix catalogue. Or il s’est avéré que ces deux montres, valant ensemble 46 300 francs, avaient été volées à l’usine. Le gérant souligne qu’il les a restituées spontanément lorsqu’il a appris leur provenance. Ce qui n’a pas empêché la marque genevoise de mandater un avocat pour plaider sa condamnation pénale.
Cinq Panerai considérées comme falsifiées ont été séquestrées au cours de l’enquête. Elles seront détruites comme si elles étaient de vulgaires copies. Une sixième montre, une Frank Muller Conquistador, a elle aussi été embarquée par la police. Or elle ne fait l’objet d’aucune accusation et elle aurait dû logiquement être restituée au prévenu, qui en est le propriétaire légitime. Le tribunal a cependant invoqué une disposition du Code de procédure pénale l’autorisant à confisquer l’objet, en garantie de paiement de frais de justice et de dépens.
Déjà passablement endetté, l’intéressé a proposé en vain qu’on lui la rende. Pour qu’il puisse la vendre afin de régler ces frais, persuadé que «si c’est l’Etat qui la vend un jour, il le fera au quart de la valeur de l’objet».
Tribune de Gèneve
|