L’année de toutes les interprétations
 
Le 06-01-2015

Horlogerie. L’exercice 2014 apparaît déjà comme le plus nuancé depuis dix ans.
Stéphane Gachet

Une année difficile, tout le monde s’y accorde. Mais les exégètes auront quand même du mal à s’aligner sur la lecture de 2014. Faut-il considérer l’exercice seulement du point de vue des exportations, qui restent à un niveau record? Faut-il y voir le début d’une rupture après des années de croissance à deux chiffres? Il faudra encore attendre début février et la publication par la Fédération horlogère des statistiques de décembre pour parachever le tableau, mais il est d’ores et déjà certain qu’il faudra faire preuve de finesse, 2014 s’imposant comme l’exercice le plus nuancé que le secteur a connu depuis quasiment quinze ans. Il y a eu la phase euphorique, 2000-2007, puis la grande casse, 2008-9, enfin le redécollage, 2010-13. Le secteur atterrit maintenant dans un nouveau contexte concurrentiel où tous les fabricants ne joueront pas dans la même ligue.

Il y a les signes visibles du ralentissement. Le tassement de la Chine, le recul de Hong Kong. Les chiffres trimestriels des grands opérateurs. La pression sur les titres. Les statistiques d’exportation plus encore, qui reflètent de mois en mois une situation plus tendue encore qu’attendu. Il y a eu aussi ce coup de semonce en fin d’année: chômage partiel chez Cartier Fribourg, licenciements chez Tag Heuer.

En parallèle, il y a tous les signes invisibles. La pression sur la sous-traitance, invariablement en première ligne des changements de rythme. La pression des groupes sur les fabricants indépendants, par définition moins bien dotés financièrement, et impuissants (et de plus en plus) face une distribution complètement reformulée par les groupes à travers leurs propres filiales et leur propre retail.

Et puis il y a tous les mouvements internes de l’industrie. Là encore, quelques-uns sont bien visibles. Arrivées et départs à la tête des marques. La rocade la plus marquante de l’année restera le départ de Jean-Frédéric Dufour de Zenith pour Rolex. Totalement inédit pour la maison à la couronne. Le départ brutal de Stéphane Linder chez Tag Heuer restera lui aussi comme un moment fort, signant à la fois la puissance de Jean-Claude Biver à la présidence du pôle horloger de LVMH et les difficultés bien réelles du marché.

A propos de Tag Heuer, l’analyste Thomas Chauvet, Citi, livrait en fin d’année sa propre interprétation à L’Agefi: «2014 a été une année difficile pour la branche horlogère, mais Tag Heuer a souffert davantage car la marque a souhaite se restructurer profondément dans la production et la distribution, ainsi que dans son positionnement prix sous l’impulsion de Jean-Claude Biver. Tag Heuer retrouve ainsi (en refocalisant sur le segment 1000-4000 euros, ndlr) ses origines de marque démocratique et accessible, ce qui semble particulièrement adapté au contexte horloger suisse actuel ou le segment de moyenne gamme surperforme. Ce segment profite de l’accroissement de richesses des classes moyennes et d’une faible exposition aux mesures anti-corruption du gouvernement chinois. La Chine reste un marché à conquérir pour Tag Heuer, et le nouveau positionnement prix de la marque, avec de nombreux lancements entre 1000 et 2000 euros, devrait faciliter une plus grande pénétration dans ce marché.» Un ajustement donc, selon l’analyste, mais un symbole majeur, s’agissant de recadrer une stratégie (celle de Tag Heuer) précisément construite sur un contexte ultraporteur capable d’absorber des montées en gamme (pas seulement chez Tag) déconnectées de la réalité de la production.

Juste avant les Fêtes, Citi livrait encore une note de recherche importante après la publication des statistiques de novembre (en recul de 4,4% en valeur). Signalant la pire performance en Chine depuis cinq ans (-17%). Une demi surprise, puisque l’épicentre de cette dégradation reste Hong Kong, avec une variation mensuelle négative de 13,5% alors que le débouché est toujours en tête des exportations, avec une part de 16,7% (devant les Etats-Unis, à 12,2%). Soit le niveau le plus bas depuis juin 2009, en pleine crise du luxe. Sur une base cumulative de deux ans, le recul dans la zone Greater China s’établit à -30%.

Pour Citi, le signal est très négatif, intervenant à l’issue d’une année presque entièrement dominée par le déstockage sur les marchés. Dans un contexte aussi peu favorable, frappé en particulier par les événements politiques de Hong Kong. Egalement une «détérioration sur les autres débouchés». Une faiblesse mise en évidence par les chiffres intermédiaires publiés par les groupes leader de l’industrie. Ainsi LVMH, dont la progression en low single digit donne tous les signes d’une saturation des ventes réelles et, de fait, l’engorgement des stocks. Citi ne s’attend pas non plus à une amélioration pour la maison Richemont sur la période novembre et décembre, alors que le groupe a reporté un recul de 1% en octobre. L’un dans l’autres, ces signes pourraient annoncer un nouveau rendez-vous raté avec le nouvel an chinois, qui commence le 19 février. Tout dépendra du rythme de restockage après les ventes de décembre, anticipe Citi.

AGEFI

 

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