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Avec une économie traditionnellement tournée vers les exportations, la Suisse risque de souffrir dans les mois à venir de la fin du taux plancher. Quels sont les secteurs les plus dépendants des échanges avec la zone euro?
Montres, chocolats, médicaments, fromages, pigments chimiques ou engrais mais aussi stations de ski, compagnies aériennes ou services: qui va souffrir le plus de la fin du taux plancher entre le franc suisse et l'euro? Les victimes pourraient être nombreuses dans des secteurs de l'économie très variés. Tour d'horizon des domaines qui dépendent le plus des exportations vers les pays de la zone euro.
L'Union européenne (pays membres et non membres de la zone euro représentaient à fin 2013 55% des exportations suisses, mais 73% des importations). Si les pays de la zone euro se situent en tête avec l'Allemagne (39,25 milliards de francs d'exportations, 52,4 milliards de francs d'importations), l'Italie (15 milliards de francs d'exportations, 18,8 milliards de francs d'importations), la France (14,9 milliards d'exportations, 15,5 milliards d'importations) et l'Autriche (6,6 milliards d'exportations, 8 milliards d'importations), le déséquilibre des chiffres pourrait donner une impression biaisée: une balance commerciale qui, avec ces pays, penche nettement en faveur des importations (lesquelles seront rendues moins chères par la fin du taux plancher), pourrait laisser penser que de nombreuses entreprises pourront voir leurs coûts d'approvisionnement amoindris auprès de sous-traitants basés dans ces pays.
L'horlogerie a peur
Toutefois, si cet effet n'est pas à nier pour certaines sociétés, il ne constituera qu'un mince coussin qui amortira à peine la chute des ventes qui devrait y être conséquente face au renchérissement des produits «Swiss Made» qui y sont en vente.
Victime toute désignée de cette décision surprise de la Banque nationale suisse (BNS): le secteur horloger. L'Italie est le 5e débouché à l'exportation pour les montres suisses avec 1,138 milliards de francs entre janvier et novembre 2014, l'Allemagne le 6e (1,125 milliards de francs), la France le 8e (1,022 milliards de francs). Or, si l'Allemagne et la France avaient déjà vu les ventes baisser sur les onze premiers mois de l'année écoulée par rapport à 2014, l'Italie faisait figure de havre de stabilité (+0,3%), alors même que les marchés est-européens (crise russo-ukrainienne), chinois (campagne anti-corruption) et hongkongais («contestation des parapluies») s'annonçaient déjà moroses. Les principaux groupes horlogers et les manufacturiers jurassiens et genevois s'apprêtent donc à souffrir.
A l'autre bout de l'arc jurassien, Bâle tremble en cette fin de semaine. Dans la cité rhénane, l'économie a pour moteurs Novartis, Roche, Syngenta, Actelion, BASF, Lonza... Et plus encore que l'horlogerie, la pharma et la chimie sont tournés vers les pays de la zone euro. Pour la pharma, les principaux débouchés sont l'Allemagne (14% des exportations du secteur en 2013), l'Italie (8,3%) et la France (5,3%). Certes, les Etats-Unis restent en tête (15,2%). Mais derrière le géant américain, la zone euro pèse lourd. Et ces pays, qui connaissent d'importants déficits du système de santé, menaient déjà ces derniers mois des politiques actives de pression à la baisse sur les prix des traitements.
La faîtière de l'industrie chimique et pharmaceutique indique que l'Allemagne a représenté entre janvier et novembre 2014 36,16 milliards de francs d'exportations, la France 13,68 milliards et l'Italie 12,78 milliards. Par comparaison, les deux poids lourds de l'économie mondiale que sont les Etats-Unis et la Chine ont respectivement représenté 23,62 milliards de francs et 8,17 milliards de francs sur les onze premiers mois de l'année écoulée. Pour les géants suisses de la chimie (agrochimie, pétrochimie,...), l'impact pourrait être très lourd aussi avec des produits renchéris sur ces marchés clefs.
Montres, médicaments, colorants et engrais, mais aussi produits alimentaires: le chocolat tout d'abord. Selon les chiffres de l'Administration fédérale des douanes relayés par la Fédération des fabricants suisses de chocolat, l'Allemagne a représenté 25% des exportations en 2013, la France 8%, l'Italie 5%, l'Espagne 2% et l'Autriche 1%. A eux cinq, ces pays de la zone euro ont donc avalé 41% des exportations de la branche. Et alors que les prix ont déjà augmenté ces derniers mois suite à une hausse de la demande et à une production insuffisante de cacao, le secteur pourrait être amené à se réorienter. Pour ce produit haut de gamme mais qui reste plus abordable que certains mécanismes horlogers très coûteux, un nouveau débouché pourrait être l'Asie et la Chine en particulier où la consommation augmente rapidement ces dernières années.
Autre spécialité gastronomique: les fromages. Loin d'être anecdotique, leur volume d'exportations s'est élevé à 570 millions de francs en 2013. Or, selon Switzerland Cheese Marketing SA et TSM Fiduciaire Sàrl, les exportations vers l'Europe ont représenté 82% des volumes vendus hors du pays au premier trimestre 2013. Là aussi, l'Allemagne est incontournable, mais en raison d'une situation particulière: le pays sert de plateforme logistique pour d'autres marchés européens. Cependant, la hausse des prix qui va résulter de la fin du taux plancher pourrait inciter certains consommateurs allemands, français, italiens ou d'autres pays de la zone euro à préférer d'autres fromages à l'Emmentaler, au Gruyère, au Vacherin et au Tilsiter...
Chocolats et fromages moins vendus à l'étranger, mais sans doute aussi moins achetés par les touristes de passage en Suisse. Et ces touristes seront sans doute moins nombreux à venir des pays voisins, membres de la zone euro, si leur séjour est renchéri par un taux de change moins favorable encore. Les statistiques hôtelières arrêtées à fin octobre 2014 plaçaient l'Allemagne largement en tête pour l'origine des clients des hôtels suisses (140'063 nuitées), tandis que la France (53'303), l'Italie (36'520), les Pays-Bas (15'703) et l'Espagne (15'301), tous membres de la zone euro, se situent tous dans le top 11 des pays de provenance.
Moins symbolique mais encore plus important au niveau de l'emploi et des exportations: le secteur des machines, équipements et métaux. Le savoir-faire suisse est reconnu depuis de longues années dans ce domaine et les machines outils «Swiss Made» sont acquises par des sociétés du monde entier, en raison de leur technicité, de leur robustesse et de leur fiabilité. Or, comme le signale Ivo Zimmermann, chef de la communication de la faîtière industrie MEM, le secteur «exporte presque 80 % de ses produits. Avec une part aux exportations d’environ 60 %, l’Europe est de loin son marché le plus important».
D'où des craintes légitimes de faire face à une concurrence amplifiée par une surévaluation du franc. Et un avertissement clair: «S’il devait se produire pour une longue période une nette surévaluation du franc suisse, cette situation menacerait dans leur existence de nombreuses entreprises exportatrices de l’industrie MEM – avec les conséquences qui en découleraient pour l’emploi». Avec 33,3 milliards de francs d'exportations en 2013 (soit 35% de l'ensemble des exportations suisses) et 10,5% de l'emploi salarié dans notre pays, ce secteur pourrait être l'un des plus durement touchés.
Le textile ne représente en Suisse que 2% des exportations. Mais ce secteur est déjà handicapé par un coût de la main-d'oeuvre relativement élevé. Avec 12'500 employés (8'100 dans l'industrie textile directement et 4'400 dans les accessoires), le poids est important. Or, les exportations ont représenté 2,8 milliards de francs en 2013. Et là aussi, les partenaires de la zone euro sont prépondérants: 455 millions de francs vers l'Allemagne, 139 vers l'Italie, 102 vers la France et 79 vers l'Autriche, qui occupent les quatre premières places, reléguant les Etats-Unis à la 5e place avec seulement 73 millions de francs: 78,2% des exportations se font à destination de partenaires européens (membres ou non de la zone euro). Et les produits y seront donc renchéris dans les semaines et les mois à venir.
Sans doute moins impacté mais quand même certainement touché figure le secteur aérien. Certes, les compagnies pourront acheter leur kérosène moins cher (si le taux de change avec le dollar évolue dans le bon sens). Mais les billets d'avion facturés en francs suisses au départ des aéroports de notre pays seront plus chers pour nos voisins européens. Or, deux des trois principaux aéroports, l'EuroAirport à Bâle et Cointrin à Genève, bénéficient largement de passagers-clients frontaliers (français à Genève, français et allemands à Bâle). Et le principal aéroport suisse, à Zurich, n'est qu'à quelques encablures de l'Allemagne. Ce qui incite nombre de clients venus d'outre-Rhin à opter pour des vols au départ de ce dernier. Pour eux aussi, le billet sera plus cher et ils pourraient préférer des aéroports dans leurs pays si les destinations sont desservies.
Enfin, la construction sera sans doute aussi impactée. Si elle n'est pas fortement engagée dans le commerce extérieur (sauf pour des exportations de produits bruts, mais avec des valeurs réduites), la construction pourrait pâtir d'une concurrence accrue, notamment dans les zones frontalières: les ménages souhaitant acheter ou construire verront leur pouvoir d'achat augmenté en France voisine (ou en Allemagne, en Italie, en Autriche pour les cantons limitrophes de ces pays). Et ils pourraient arbitrer en faveur d'un projet immobilier hors des frontières. Avec un impact quasi-certain au niveau des projets de construction. Et donc de l'emploi.
BILAN
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