«Le monde horloger n’a pas besoin des montres de Greubel Forsey»
 
Le 26-01-2015

La croissance n’est pas la première des priorités, affirment les patrons de la marque très haut de gamme basée à La Chaux-de-Fonds. A Palexpo, Stephen Forsey le créateur et Emmanuel Vuille le directeur parlent de prix, de clients et de Richemont

Rendez-vous était pris depuis une bonne semaine, au Salon international de la haute horlogerie (SIHH), à Genève. Mais jeudi, lorsque Stephen Forsey apprend que l’on souhaite discuter de stratégie commerciale et des prix à 6 ou 7 chiffres pratiqués par Greubel Forsey, son cofondateur et créateur fait mine de pas pouvoir répondre. Il fait appeler Emmanuel Vuille.

L’entretien débute à peine, lorsqu’arrive le directeur de l’entreprise chaux-de-fonnière qui, en une décennie, a imposé son style – cette année, la marque présente sa 7e invention, un quantième perpétuel à équation qui, une fois encore, fait dans l’inédite complexité.

Le Temps: Savez-vous ce que les gens demandent, lorsqu’on leur parle de Greubel Forsey?

Stephen Forsey: Je vois ou vous voulez en venir… Lorsque quelqu’un voit une image de l’une de nos montres avec un chiffre, le prix, il ne comprend pas. Mais nous assumons. On ne vend pas un produit commercial comme un autre. Nous ne réfléchissons pas sur une base marketing, nous ne pouvons pas réagir vite aux tendances. Le monde horloger n’avait pas besoin de notre montre GMT (2013). Nous sommes libres, donc nous créons selon nos idées, en tentant d’apporter quelque chose de nouveau. Ceci à un coût et un risque.

– En fait, ceux qui vous découvrent posent tous la même question: qui peut bien acheter des montres à un tel prix (entre 200 000 et 1,5 million de francs)?

Emmanuel Vuille: Ce sont évidemment des gens fortunés, mais ils sont dispersés dans le monde entier. Environ 15% des 900 montres que Greubel Forsey a vendues depuis sa création (en 2004) l’ont été en Asie. Les Etats-Unis sont un marché très important. Tout comme la Russie, même si c’est désormais un peu plus compliqué. Les acheteurs sont en général des entrepreneurs.

S. F.: Ils se reconnaissent dans notre histoire, celle de deux passionnés (avec Robert Greubel) qui se sont lancés dans une aventure entrepreneuriale. Il y a une sorte de mimétisme.

– Donc, le cliché du client moyen-oriental qui dépense sans compter est erroné?

E. V.: C’est totalement faux! Nous commençons d’ailleurs seulement cette année à nous intéresser de plus près à cette région. Historiquement, ces clients-ci sont beaucoup plus sensibles aux montres joaillières. Ce n’est pas notre créneau.

– En parlant de créneau, combien de femmes portent une de vos 900 montres?

S. F.: Une poignée

E. V.: Mais il n’est pas exclu que nous travaillions, un jour, à un modèle pour dames.

– Vous avez tout de même une stratégie commerciale?

E. V.: Le plus gros défi est de trouver un bon équilibre entre rareté et besoin d’exister. On ne veut pas être présent partout, on veut que nos modèles ne soient pas accessibles dans le monde entier simultanément.

S. F.: Mais on ne peut pas non plus être absent des présentoirs des détaillants. Nous avons besoin de visibilité. Les collectionneurs purs et durs sont d’accord d’attendre pour un modèle bien précis. Mais un certain nombre de clients n’ont pas l’habitude de patienter. Le cas échéant, il préfère s’orienter vers autre chose.

E. V.: La rareté, le fait de savoir dire non, joue sur notre crédibilité. Cela fait partie du jeu.

– Comment s’organise la distribution?

E. V.: Nous avons environ 35 points de vente. Et n’avons pas forcément l’intention d’augmenter ce chiffre. La priorité est d’améliorer la qualité et les compétences, dans ces points de vente.

– Le rachat de 20% du capital par Richemont, en 2006, vous a-t-il permis d’améliorer votre réseau de vente?

E. V.: Absolument pas! Le groupe, comme nous, a compris, que notre indépendance était primordiale. Y compris du côté de la distribution.

S. F.: Ils sont dans une logique de grands volumes. Cela n’aurait aucun sens de s’y associer.

– Voilà plusieurs années que vous écoulez une centaine de montres par an. Quand allez-vous augmenter ce chiffre?

E. V.: Nous n’avons pas l’intention de nous lancer dans une course aux volumes. L’industrie horlogère l’a fait et il y a aujourd’hui un trop-plein, voire même de la lassitude chez certains clients. Il n’est pas exclu que l’on dépasse un jour ce chiffre, que l’on soit 150 employés dans l’entreprise (une centaine de collaborateurs aujourd’hui). Mais il faudrait former de nouvelles personnes aux standards techniques de la marque. Cela prend du temps… de toute façon, ce n’est pas le moment, il y a trop d’offre.

S. F.: Je compare souvent notre production à un acte créatif. Il faut faire plaisir aux collectionneurs. Ensuite seulement, nous nous soucions de la stratégie commerciale. Attention! Nous avons tout de même besoin d’être rentables. Cependant, cette rentabilité est le résultat de notre succès.

LE TEMPS

 

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