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Le Zurichois est certainement l’un des plus fins observateurs de l’univers de la montre connectée. Rencontre avec cet entrepreneur à l’heure où Apple et Swatch présentent leurs modèles
Vu de l’extérieur, ce petit hangar caché dans une ruelle zurichoise ressemble au quartier général de n’importe quelle start-up. Vu de l’intérieur, aussi. Il y a des Mac sur des tables en verre, un coin canapés qui semble confortable, une machine à café Nespresso, des diagrammes contre les murs et une table rectangulaire pour des réunions. En guise d’introduction, Pascal Koenig sort une poignée de smartwatches d’un tiroir. «De laquelle on parle?» lance-t-il, tout sourire, en proposant un café.
D’ici à une année, la table sera vraisemblablement couverte de nouveaux modèles; 2015 sera l’année des montres connectées. Parmi les plus attendues, celles des groupes Apple ou Swatch. Qui entraîneront dans leur sillage une multitude de montres plus ou moins chères, plus ou moins connectées, plus ou moins luxueuses, plus ou moins pratiques… Mais tant qu’elles respectent trois conditions – tenir autour du poignet, donner l’heure et se connecter à Internet – elles pourront porter le titre de smartwatch. Pour Pascal Koenig, «jusqu’à maintenant, les porteurs de montres connectées étaient des hommes, souvent geeks. Cela va changer cette année.»
A en croire le Zurichois, le succès de cette nouvelle gamme d’appareils est déjà écrit. Il brandit deux montres invisibles devant lui. «En 2020, tu auras le choix entre la montre de droite, qui coûtera 200 francs et qui te donnera l’heure, et la montre de gauche, qui coûtera 220 francs et qui te donnera l’heure, des résultats sportifs, ton bilan de santé et la météo. Tu choisiras quoi?» Logique imparable.
A l’aube de cette révolution, Pascal Koenig est, de l’avis de plusieurs références du milieu, l’un des plus fins connaisseurs de cette industrie. D’un point de vue théorique d’abord: il anime avec trois compères le site smartwatchgroup.com qui fournit une myriade d’informations originales sur cet univers. Et qui est régulièrement cité dans les commentaires des meilleurs analystes bancaires.
Pascal Koenig baigne également dans la pratique. En 2007, il a lancé Limmex, à l’origine de l’une des premières smartwatches suisses. Aujourd’hui, en marge de smartwatchgroup.com, il travaille sur un nouveau projet dont il veut garder les détails secrets. Limmex et cette montre mystérieuse seront d’ailleurs les deux sujets que Pascal Koenig préférera ne pas aborder durant l’interview.
Même si son français est meilleur qu’il ne le dit, le pétillant quadragénaire préfère raconter son histoire en anglais. Diplômé en économie de l’Université de Saint-Gall, il fera ses premières expériences dans le cabinet de consultants McKinsey et chez Synthes – spécialiste suisse des implants orthopédiques. Sa première tentative entrepreneuriale prendra le nom de Cardiosafe. Le produit? Divers appareils (accrochés au poignet, au lobe de l’oreille, etc.) permettant d’avertir son médecin en cas de problèmes cardiaques.
Le succès est mitigé. «Il y a d’abord eu des soucis de remboursement avec les assurances maladie qui ne savaient pas très bien à quoi elles avaient affaire», se souvient le Zurichois. Autre problème, la technologie Bluetooth qui permettait de connecter les différents appareils sur le corps consommait bien trop d’énergie. Enfin, «on a constaté que les patients ne voulaient pas forcément porter toutes sortes d’outils indiquant au monde entier qu’ils avaient des problèmes cardiaques», énumère Pascal Koenig.
Des écueils qu’il évitera avec Limmex. Dès 2009, la société fabrique un garde-temps d’apparence tout à fait classique mais qui permet, grâce à une carte SIM intégrée, de lancer des coups de fil à ses proches en cas d’urgence. Soutenu notamment par le patron de Sonova Andy Rihs, Limmex est un succès commercial qui se vérifie encore aujourd’hui. De cette expérience – dont Pascal Koenig «ne veut pas trop parler parce qu’il ne fait plus partie de l’aventure» –, le Zurichois ne racontera qu’une anecdote. Celle de cette lettre d’une femme le remerciant d’avoir sauvé la vie de sa mère avec cette montre. «Magnifique! Un coup de massue! Tu passes ton temps à courir, à travailler sur des budgets et à plonger dans de nouvelles technologies et, tout d’un coup, on t’apprend que tu as contribué à sauver une vie…»
En 2013, peu après avoir été retenu dans la liste des 300 plus influents par le magazine Bilan – catégorie «jeunes créatifs» – Pascal Koenig quittera Limmex en n’en restant qu’un petit actionnaire. Ce qui l’intéresse vraiment, lui, c’est le chemin de l’idée jusqu’au premier million de chiffre d’affaires. Ensuite, «je me lasse vite…».
Après cette aventure, départ pour l’Argentine, sept mois à Buenos Aires avec sa femme et ses deux enfants. Objectif: «prendre du recul». Un recul tout relatif puisque c’est là qu’il effectue ses premières recherches pour élaborer ce qui deviendra Smartwatch Group. «Si tu tapes smartwatch sur Google, tu auras des centaines de millions de sites internet sur lesquels figurent tout et n’importe quoi. Mais rarement tu trouves des informations stratégiques et consolidées sur cette industrie», explique-t-il. Il a l’ambition de combler ce vide.
Sur le site, tout est gratuit. Etrange, pour un entrepreneur diplômé en économie. C’est vrai, rigole l’intéressé, «il n’y a pas de modèle d’affaires. Pour les trois personnes qui planchent dessus avec moi, c’est plutôt un hobby en marge de nos autres projets.» Pour récolter les données, il dit être fréquemment en contact avec l’industrie ou les banques. On lui demande d’ailleurs d’organiser des tables rondes ou des conférences mais le métier de consultant ne l’intéresse plus. «Il y a tellement de choses plus cool à faire», lâche-t-il.
Plusieurs raisons expliquent pourquoi Pascal Koenig se passionne pour ces petits appareils encore méconnus. Retenons-en une: pour lui, la montre connectée sera un bouleversement sans précédent pour l’industrie horlogère suisse. «Dans le pays, nous avons énormément de connaissances sur le design horloger, la mécanique… Mais la Suisse est aussi réputée pour ses technologies médicales. Et, via les EPF, pour ses connaissances en informatique. Les principaux ingrédients de la smartwatch y sont donc réunis. Est-ce que l’on saisira cette opportunité? Les années qui viennent seront passionnantes», prédit-il.
L’heure tourne. Pascal Koenig jette de temps en temps un œil sur l’horloge de son portable. Comment? Il ne porte pas de montre? «Habituellement, non», s’excuse-t-il. Mais, promis, il essaye «vraiment» de s’y mettre. En 2015, certainement.
Valère Gogniat
letemps.ch |