Grand Prix d'Horlogerie de Genève: les commentaires d'un membre du Jury
 
Le 23-11-2007

Quelques opinions libres sur le VIIe Grand Prix d’Horlogerie de la ville de Genève

La cérémonie du VIIe Grand Prix d’Horlogerie de la ville de Genève a permis de distinguer hommes, montres et marques en présence des principaux animateurs de la communauté horlogère et d’une foule qui excédait manifestement les capacités logistiques du Grand Théâtre de Genève.

Quelques commentaires personnels d’un des membres du jury :

• Le jury lui-même s’est internationalisé (Etats-Unis, France, Hong Kong, Italie, Japon, Royaume-Uni, Russie, Singapour, Suisse) en panachant les spécialités (détaillants, experts, journalistes, etc.), ce qui est un gage à la fois de vision élargie et de décisions indépendantes.
Rappelons à tous les détracteurs de ce Grand Prix que les décisions du jury sont souveraines, jalousement préservées et déconnectées de la moindre influence diplomatique ou commerciale : c’est donc probablement le prix le plus « propre » de toute la planète horlogère, puisqu’il est organisé par la ville de Genève, sous son contrôle (avec huissier), et non par un média spécialisé !

• Un prix n’a pas été attribué : celui de la montre électronique, faute d’une sélection représentative de candidats. C’est dommage pour une marque comme TAG Heuer, dont la Link Calibre S méritait cette année une récompense et à qui le jury a décerné une sorte de « prix virtuel ».
C’est également révélateur de l’inversion irrémédiable des polarités horlogères. L’horlogerie est définitivement redevenue mécanique : à quelques exceptions près (dont TAG Heuer), plus aucune marque ne souhaite concourir dans la catégorie Montre électrique, alors que la production des montres électroniques représente tout de même la plus large part de la production suisse et la quasi-totalité de la production mondiale.
Ce prix étant un Grand Prix d’Horlogerie, il serait suicidaire de continuer à ignorer les montres électroniques qui relèvent malgré tout de l’art horloger (c’était le cas de la Link Calibre S). Rappelons que ce prix de la Montre électronique est un Grand Prix de Genève comme les autres et qu’il n’est réservé ni à certaines marques (européennes ou non européennes), ni à certaines montres, ni à certaines innovations.
Quand on sait qu’une montre à dix fois plus de chances de remporter un prix dans cette catégorie que dans la catégorie Hommes, il devient évident que certaines marques auraient intérêt à concourir dans cette discipline moins encombrée : peu importe la catégorie, pourvu qu’on ait un prix !

• Il manquait également dans la sélection finale un prix qui aurait très bien pu revenir à la Rolex Yacht-Master II : prix qui n’a pas été attribué, Rolex ayant retiré cette montre (ainsi que la Milgauss) de la compétition dès que la Fondation Wilsdorf s’était trouvé engagée dans le financement direct du Grand Prix d’Horlogerie. Cette « sportivité » de la marque, saluée par le jury, ne les a pas moins frustrés d’un prix qui aurait légitimement pu revenir à Rolex : ils ont donc décerné publiquement une sorte de « prix moral » à la marque, tant pour la montre que pour le fair play de son attitude...

• Les récompenses attribuées à Cartier (Montre Dame pour la Ballon Bleu), Audemars Piguet (double récompense, avec la Millenary à seconde morte en Montre Design et la Royal Oak Alinghi en carbone dans la catégorie Montre Sport), Hublot (Montre sertie pour la Big Bang One Million Dollar B.B.) ou Harry Winston (Montre compliquée pour la tourbillon à glissère) n’appellent pas de commentaires particuliers, sinon que le choix était parfois difficile pour les jurés, dont les votes ont tout de même poussé Urwerk en finale dans la catégorie Design ou le Duomètre de Jaeger-LeCoultre en finale pour la montre compliquée (Jérôme Lambert sera tout de même distingué par le Prix spécial du jury pour sa Reverso à tryptique)...

• Le choix de Kari Voutilainen et de sa montre Observatoire comme Montre Homme est intéressant dans la mesure où il consacre à la fois un certain type d’horlogerie (soucieuse de bienfacture, d’ultra-précision mécanique et de finitions superlatives), un certain type de montre (plus simple, moins design, moins marketing) et un certain type de marque (ici, un indépendant qui ne produit que quelques dizaines de pièces par an) plutôt qu’un best-seller d’une grande marque appartenant à un grand groupe...

• Autre choix étonnant : la Zenith Defy Xtreme Stealth dans la catégorie Montre du public, face au chronographe de Guy Ellia. A moins d’imaginer des bourrages massifs des urnes (vote par Internet et vote à l’UBS) par le fan-club de ces deux marques, c’est une belle preuve que le public est désormais souvent plus « avancé » dans ses goûts que ne l’imaginent les points de vente et les marques. Les deux chronographes finalistes sont des montres sportives, au style très affirmé, qui ont proprement bluffé le public, alors que les spécialistes (journalistes ou détaillants) avaient tendance à faire la fine bouche devant ces pièces...

• L’Aiguille d’or attribuée à Richard Mille (ci-dessus) pour la RM 012 autant que pour l’ensemble de sa collection est un hommage – certes un peu tardif, mais appuyé – à la nouvelle génération horlogère, qui écrit actuellement une nouvelle page de l’histoire des montres. L’architecture « tubulaire » est une autre façon d’imaginer la montre au XXIe siècle : c’est ce regard – décalé dans le résultat, mais absolument rigoureux dans le respect de la vraie tradition horlogère – qui a emporté les suffrages quasi-unanimes du jury, qui comptera Richard Mille dans ses membres l’année prochaine (l’Aiguille d’or de l’année précédente, dans ce cas interdit de compétition, est automatiquement membre du jury de l’année suivante).

• Le Prix du meilleur concepteur/constructeur , décerné pour la première fois cette année, a été remis à Jean-Marc Wiederrecht (Agenhor) pour son travail sur les aiguilles rétrogrades et plus généralement sur sa créativité. Conçu pour récompenser les hommes qui sont derrière les montres et les marques qui occupent le devant de la scène, c’est un prix qui doit devenir le Championnat de Formule 1 de l’imagination horlogère.

• Si on fait une balance des lauréats entre les marques « genevoises » et non-genevoises, l’équilibre est subtil, mais l’égalité règne, ce qui prouve que ce Grand Prix n’est pas exclusivement réservé aux références du bassin horloger genevois (dans lequel on compte traditionnellement la vallée de Joux).
On remarque, en revanche, la nette domination des marques indépendantes sur celles qui dépendent d’un groupe (Cartier et Jaeger-LeCoultre sauvant ici l’honneur de Richemont, Zenith celui de LVMH), le grand absent de la soirée restant le Swatch Group, qui n'avait d'ailleurs pratiquement délégué aucun de ses top managers au Grand Théâtre de Genève...

BUSINESS MONTRES & JOAILLERIE

Je ne dis pas que les lauréats de ce VIIe Grand Prix sont tous ceux pour lesquels j'avais voté, mais je me reconnais plutôt dans cette sélection finale des lauréats.
Tant pour les modèles retenus que pour les marques récompensées, je dirais que ce verdict honore un rajeunissement de l'image et de la créativité horlogère, qu'il soit le fait de nouvelles marques ou de respectables maisons plus que centenaires.
C'est ce coup de jeune que les jurés ont remarqué. C'est cet air frais qu'ils ont choisi d'honorer. C'est ce nouvel élan qu'ils espèrent retrouver au cours de ces prochaines années.

Business Montres

 

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