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Les maisons du luxe ont définitivement pris le virage Internet. Les jurés de la troisième édition du Grand Prix du luxe Stratégies Condé Nast ont couronné Louis Vuitton pour son travail sur le site. Un bel exemple de ce que la Toile peut offrir de mieux aux marques de prestiges .
Récompenser l'audace et la singularité créative. Encourager les marques dans les pistes d'avenir. Se faire l'écho des progrès technologiques. Donner, en somme, un signe fort de l'évolution du secteur du luxe. Pour la troisième édition du Grand Prix du luxe Stratégies Condé Nast, la feuille de route des 13 jurés était bien remplie.
Parmi les 108 travaux répartis en 6 catégories, ce sont les réalisations numériques qui ont fait le plus débat. La catégorie Internet, scindée cette année entre sites et minisites commerciaux d'une part et campagnes en ligne d'autre part, a permis de mesurer le chemin parcouru en un an par les maisons du luxe. Autrefois réticentes (pour ne pas dire réfractaires) à la Toile, elles en ont de toute évidence compris l'intérêt.
Parmi les réalisations en compétition, le site de Louis Vuitton a emballé les jurés, qui lui ont décerné le Grand Prix. Un beau cadeau pour le groupe Ogilvy , qui a soufflé le budget à BETC il y a à peine un an. « De l'émotion, du contenu et de l'éthique », s'est enflammé éric Jacolliot (Van Cleef & Arpels). Marion Setiey (KR Media) a salué « le véritable saut créatif opéré par la marque ». Jean-Christophe Hérail (Publicis Et Nous), lauréat du Grand Prix en 2005 et 2006 avec Hermès, s'est montré tout aussi enthousiaste : « C'est la marque qui communique dans toute sa splendeur, sa richesse et son imaginaire. »
Orchestrée – et ce n'est pas la moindre des fiertés de l'enseigne – depuis le « hub » parisien d'Ogilvy, la campagne internationale « Countless journeys, countless emotions » (« Innombrables voyages, émotions innombrables ») de Louis Vuitton tranche résolument avec les codes classiques de la communication du luxe. « Après les campagnes très “ mode ” des derniers mois, orchestrées par le directeur artistique Marc Jacobs, l'identité de spécialiste du voyage de Vuitton s'était un peu estompée, explique Christian Reuilly, directeur de création chez Ogilvy & Mather. Il s'agissait donc de retrouver le thème du voyage, en revenant aux valeurs profondes de la marque. » Dès lors, « il fallait parler du voyage sur le mode intimiste, poursuit Christian Reuilly. Un voyage qui ne soit plus un simple déplacement physique, mais une expérience personnelle et une découverte de soi. Un voyage, enfin, où le bagage devient un complice, avec lequel on a un rapport émotionnel. »
Pour véhiculer cette idée, Ogilvy a recruté des ambassadeurs. Des célébrités également proches des valeurs de Louis Vuitton, qui fournit depuis toujours les grands de ce monde. Dans le cas présent, ce sont des égéries de premier choix : le couple Andre Agassi et Steffi Graf, Catherine Deneuve, et surtout l'ancien président russe Mikhaïl Gorbatchev.
« Nous en avions sélectionné un certain nombre, ils ont été parmi les premiers à répondre positivement », raconte Christian Reuilly. Le couple Agassi-Graf, qui vit à Las Vegas, a choisi New York. Catherine Deneuve, un quai de la gare d'Austerlitz, devant un train de cinéma. Enfin, Mikhaïl Gorbatchev a été croqué pendant une demi-journée devant le mur de Berlin. Derrière l'objectif : Annie Leibovitz, spécialiste des portraits, dont c'est le premier travail pour Louis Vuitton. « Pour photographier de telles personnalités en un minimum de temps, créer une atmosphère et instaurer de l'intimité, ne pas statufier les modèles mais au contraire faire sortir une émotion, le choix d'Annie Leibovitz s'est imposé », explique Christian Reuilly.
Dans la foulée de cette campagne print, c'est le volet Internet, confié à Ogilvy Interactive, qui a littéralement emballé le jury. « Nous avons demandé à ces célébrités de raconter des voyages en sollicitant leur imaginaire et leur mémoire, explique Frédéric Bonn, directeur de création d'Ogilvy Interactive. L'idée était d'entrer dans l'intimité de ces voyageurs, non pas en reprenant le matériel existant de la campagne, mais en créant de nouvelles expériences. Nous leur avons soumis un questionnaire très ouvert, pour qu'ils nous racontent leurs expériences de voyages et de villes. Puis des scripts ont été établis. »
En juin 2007, le photographe Frédéric Guelaff a suivi Andre Agassi et Steffi Graf à New York pendant quatre jours. La mosaïque de photos s'agrémente de bruits d'ambiance, d'interviews et de compositions musicales signées par le designer sonore Mathieu Baillot. Résultat : une promenade de plusieurs chapitres, de 4 à 6 minutes, téléchargeable, au rythme lent.
« Ne pas utiliser la vidéo a été un parti pris au profit du son, une piste très peu utilisée sur Internet », raconte Frédéric Bonn. « On pourrait passer des journées avec ces balades », a souligné l'un des jurés. De fait, les visiteurs restent près de 16 minutes sur le site, quand la moyenne sur Internet tourne autour de 2 à 3 minutes… Après la promenade Agassi-Graf, celle de Catherine Deneuve sera en ligne d'ici début décembre, et celle de Mikhaïl Gorbatchev, où ce dernier évoquera Moscou, début 2008. « Internet est réputé pour être un média plutôt froid. Nous avons la preuve qu'on peut en faire un média chaud », se félicite Christian Reuilly, qui fait état d'un soutien sans faille de son client.
« Nous avons immédiatement été séduits par cette idée de balades sonores, confirme Antoine Arnault, directeur de la communication de Louis Vuitton. Cela nous semblait un moyen subtil et intelligent de valoriser les bagages sans se contenter de les mettre en vitrine. » De fait, dans un univers du luxe plutôt prudent en matière d'Internet, le travail de Louis Vuitton étonne et détonne. Cerise sur le gâteau : la démarche « grande cause » de la campagne. En vertu d'un partenariat exclusif dans le luxe signé avec le Climate Project d'Al Gore, les égéries de la marque se sont engagées à reverser leur cachet à l'association. Exception faite de Mikhaïl Gorbatchev, qui offre ses revenus à sa propre association, Green Cross, engagée dans le développement durable. « Ce partenariat avec le Climate Project n'est pas daté dans le temps et est appelé à perdurer, confie Antoine Arnault. Depuis toujours, Louis Vuitton a été une marque “ environnemental friendly ”. Il s'agit de rendre à la planète ce qu'elle nous a donné. »
Yves Carcelle, président de Louis Vuitton, fervent défenseur d'Internet et des nouvelles technologies, peut se féliciter d'avoir cédé aux sirènes du Net. « Nous avions dès le départ la conviction qu'Internet était l'un des éléments clés de cette campagne, poursuit Antoine Arnault. En somme, nous avons fait le chemin inverse des autres, en laissant de côté les aspects purement commerciaux pour nourrir le consommateur avec tout le savoir-faire et l'histoire de la marque. Nous pouvons nous le permettre parce que nous avons 150 ans d'histoire. » Et aussi, sans doute, parce que Louis Vuitton, marque phare du groupe LVMH, est mondialement connue. Les maisons de luxe, dont la plupart débattent encore des dangers de se lancer dans le monde numérique, trouveront ici un bel exemple de ce qu'Internet peut apporter de mieux au secteur.
« Et ce n'est pas fini ! », annonce Christian Reuilly. Les retours sont positifs, le client est content : aucune raison de ne pas capitaliser sur cette campagne « qui a des jambes », selon l'expression du directeur de création d'Ogilvy. Conçue pour être une saga, elle se prête à de multiples déclinaisons. « Après les villes, pourquoi ne pas imaginer les maisons de ces personnalités ? », avance Antoine Arnault. Trois autres vedettes sont d'ores et déjà en cours de « recrutement ». Et la fin de l'année apportera aussi son lot de surprises…
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Marie Maudieu |