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Devant la vénérable manufacture, il n’y a guère que les voitures qui passent pour troubler la quiétude des lieux. A l’intérieur, le silence, le calme plutôt, est également de rigueur. Derrière chaque porte que l’on pousse, des petites grappes d’ouvriers et d’horlogers s’activent, le geste précis, dans cette ambiance des plus feutrées.
A peine entré dans ces murs du Brassus, là où Audemars Piguet produit les plus belles pièces d’un monde de la montre en pleine ébullition, on se rend compte qu’on cultive ici la science du détail. Les mots sont d’ailleurs uniques. On parle d’empierrage, de perlage, de chassage ou d’encliquetage, on y compte en microns, mais aussi en francs. C’est que l’horlogerie a tiré un trait sur les années de crise, surfant désormais sur la vague du succès.
Après les préparatifs, comme ces microscopiques pierres en rubis synthétique chassées avec précaution dans la platine et les ponts de mouvements, tous les acteurs semblent faire l’éloge de la minutie pour que chacun des composants minuscules trouve sa bonne place. Parce que cette étape est essentielle pour la suite de l’assemblage du mouvement, et souvent parce que cela contribue à l’esthétique, comme le perlage. Autant d’étapes qui feront de l’ensemble une montre unique et très prisée des collectionneurs dont fait partie un certain Bill Clinton.
En cette fin d’année au Brassus, la silhouette de l’ancien président des Etats-Unis est omniprésente, puisque les horlogers préparent «sa» collection, l’«Equation du Temps Jules Audemars Fondation Clinton», dont les bénéfices contribueront à soutenir des projets humanitaires.
Au royaume du détail
Dans ce royaume du détail, le mot contrôle règne en maître. Chaque personne vérifie le moindre mouvement, le moindre rouage, gage d’excellence pour celui qui s’en réclame.
Chaque année, 26 500 montres sont ainsi confectionnées au Brassus par Audemars Piguet, entreprise florissante qui ne compte pas s’arrêter là, puisqu’à deux pas des établis, une nouvelle manufacture se construit plus vite que la relève horlogère ne se forme.
L’un des gardiens du temple vient de Préverenges «C’est un métier qui se vit»
Si la montre signée Bill Clinton est déjà un petit bijou au sens littéral du terme, il existe encore une catégorie ultime où tous les superlatifs sont de mise. Dans un petit local, ils sont en effet cinq à perpétuer plus d’un siècle du sommet de la tradition et du savoir faire pour donner vie aux «grandes complications», des pièces qui comptent 648 composants. Chaque jour depuis quinze ans, Dominique Burdet «monte» à la Vallée, lui qui fait figure de gardien du temple. «C’est un métier qui se vit, explique l’habitant de Préverenges. Pour être intégré dans ce département, il faut au moins dix ans de pratique à côté (il montre l’atelier des spécialités qui grouille en silence derrière sa vitre) et être le meilleur. »
Si Dominique Burdet et ses collègues œuvrent à la pièce, ils ont toutefois le temps de voir naître leurs prestigieux modèles. «A ce niveau de détail, chaque horloger fait trois montres par année, une seule nécessitant environ 600 heures de travail. Le must de cette pièce étant ce qu’on appelle la répétition, soit la sonnerie qui permettait d’indiquer l’heure, les quarts et les minutes à une époque où la lumière n’était pas très courante et que l’on créé aujourd’hui pour le plaisir des yeux et des oreilles. Cela confère un style unique à chaque pièce. Dans ce petit boîtier, il s’agit d’accorder «à l’oreille» des câbles de clavecin pour obtenir un son agréable et permettre aux 648 composants de trouver leur juste place afin d’atteindre l’équilibre qui fera de cette montre un objet exceptionnel.
Journal de Morges |