L'or retrouve son éclat
 
Le 03-01-2008

A la fin des années 1990, l'or semblait fini. Les termes méprisants utilisés en 1923 par John Maynard Keynes pour stigmatiser cette "relique barbare" revenaient sans cesse dans les propos des analystes, même si le célèbre économiste n'entendait dénoncer par là que l'étalon-or et non le métal précieux lui-même.

En avril 2001, la désaffection semblait définitive et le placement en or totalement désuet, car le prix de l'once était tombé à 254 dollars (172 euros), bien loin du paradis des 850 dollars atteint en 1980, au moment de l'entrée des armées russes en Afghanistan. Mais, tel un phénix ressuscité de ses cendres, le métal incorruptible par excellence est de retour.

Fin 2005, il franchissait l'obstacle des 500 dollars. En novembre 2006, il sautait les 600 dollars et, après un passage à vide au printemps 2007, il repartait à l'assaut du record vieux de vingt-sept ans et frôlait les 850 dollars en novembre, avant de se stabiliser en dessous de ce sommet.

Le louis d'or et le lingot qui semblaient ringards à tous les investisseurs de la planète, brillent désormais de mille feux. Pourquoi ?

"A partir de l'accord de Washington, en 1999, les banques centrales européennes ont cessé de vendre leur or de façon désordonnée et de tenir des discours négatifs sur ce métal, ce qui alimentait la baisse des cours, explique Frédéric Lasserre, responsable de la recherche sur les matières premières à la Société générale. D'autre part, les actionnaires des sociétés minières ont demandé à celles-ci de cesser de se couvrir à terme contre la baisse, et les producteurs sont devenus acheteurs. Cela a envoyé le signal du redémarrage."

A partir de 2002, c'est l'irrésistible déclin du dollar qui donne un coup d'accélérateur à la hausse. La corrélation entre l'évolution de la devise américaine et l'or est spectaculaire, et atteint 92 % aujourd'hui. Quand la première baisse, le second monte, car les investisseurs se prémunissent contre une fonte de leurs liquidités en achetant le métal jaune, devenu d'autant plus intéressant que son prix est libellé en dollars. Au même moment, les gérants découvrent la possibilité de diversifier et de sécuriser leurs actifs. Peu à peu, en commençant par le plus connu d'entre eux, les métaux rejoignent les actions, les obligations, l'immobilier et les devises dans les portefeuilles.

On aurait pu s'attendre à une stagnation, voire à un recul de la demande de la joaillerie sous l'effet du renchérissement du prix qui est résulté de l'arrivée de ces spéculateurs. Or la passion des Indiens et des Chinois pour les bijoux en métal précieux ne se dément pas. Au troisième trimestre de cette année, les orfèvres et les joailliers du monde entier ont acheté 16 % de plus en valeur dollars qu'un an plus tôt. Les Chinois, eux, en ont acheté 25 % de mieux qu'en 2006.

Cette année, et tout particulièrement depuis l'été, la traditionnelle fonction défensive de l'or a repris le dessus, car les craintes

d'un retour de l'inflation réapparaissent, ainsi que les symptômes d'une aversion au risque. "La crise de liquidité née de celle des prêts immobiliers à risque américains a fait son oeuvre, commente Frédéric Lasserre. Les investisseurs constatent que les banques centrales doivent stopper leur hausse des taux afin de permettre aux établissements financiers de supporter le choc. Autrement dit, les investisseurs pensent que les banques centrales ne sont plus en mesure de contrôler l'inflation, et ils cherchent un refuge." Une fois de plus, celui-ci s'appelle l'or.

TENSIONS GÉOPOLITIQUES

Pour autant, parier sur la poursuite de son ascension demeure hasardeux. Certains s'y risquent, estimant que les tensions géopolitiques, avec l'Iran et le Pakistan notamment, ne sont pas près de faiblir. Ils sont rejoints par d'autres, qui appliquent la "loi de Raymond Barre" fixant le cours d'équilibre de l'once d'or à dix fois le cours du baril de pétrole, ce qui annoncerait 1 000 dollars, le brut semblant durablement accroché aux abords de 100 dollars.

D'autres rétorquent que l'économie mondiale a une chance sur deux de connaître une récession, malgré la vigueur des pays asiatiques. Dans cette perspective, un euro à 1,50 dollar et le baril à 100 dollars leur semblent insoutenables ; ils prédisent donc un retour en forme du dollar et un dégonflement des prix du pétrole, donc de celui de l'or.

Ainsi, la Société générale anticipe-t-elle une correction qui ramènerait l'once à 620-650 dollars, vers la fin de 2008. Avant de repartir à la hausse ? La "relique barbare" a de l'avenir.

Le Monde.fr

 

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