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La marque est française, en dépit des apparences. Le nom fonctionne sur des sonorités anglo-saxonnes (Wize pour wise, Ope pour hope) qui situent un univers mental, mais les deux créateurs, Ben B. et Vic L. (anciens créateurs du concept et des montres ODM), sont français, tout comme la tonalité de leur inspiration - cette french touch que le Made in China (Hong Kong) permet de libérer tout en maintenant un niveau de prix accessible.
Les deux créateurs - qui doublent leur appréciable expérience des marchés horlogers d'une compétence sur les marchés de la mode (ils sont également importateurs de cachemires) - ont voulu transposer dans l'univers horloger une approche transculturelle dont ils ressentent l'importance dans la vie quotidienne des nouvelles générations.
Pour eux, design, images, musique, mangas et montres nourrissent un même référentiel culturel, structuré par une tendance sociologique lourde à la customisation forcenée des objets du quotidien : au sein de la génération 15-30 ans, chacun se veut désormais créateur de ses propres repères et « metteur en scène » de sa singularité. Cette quête de l'affirmation personnelle est d'autant plus impérative qu'elle s'accompagne du sentiment de vivre en citoyen du monde dans un village planétaire.
Il ne restait plus qu'à traduire ce faisceau de convergences socio-culturelles dans un nouveau concept de marketing horloger, radicalement différent des classiques propositions de l'horlogerie fashion ou de l'électronique nippo-asiatique.
Wize & Ope : retenez bien le nom - la marque s'est déjà fait remarquer à la dernière Hong Kong Watch & Clock Fair ou au salon Who's Next à Paris. Wize & Ope veut tout simplement devenir la montre emblématique des garçons et des filles de la tranche d'âge 15-30 ans, avec une collection basique ultra-courte, accompagnée d'une moisson d'accessoires complémentaires pour que chaque montre témoigne de l'appartenance à la « tribu » sans que personne n'ait exactement le même objet au poignet.
Une offre d'autant plus facile à décoder pour la cible visée que cette collection est environnée d'outils marketing très bien pensés, mais surtout parfaitement en phase avec les codes, les usages et les réflexesde cette nouvelle génération.
Base de la collection Wise & Ope : deux boîtiers rectangulaires, l'un avec un module analogique (aiguilles), l'autre se contentant d'un affichage digital. Matière synthétique noire ou blanche, aiguilles noires ou blanches, ton sur ton ou contrasté. Design simplissime, pour ne pas dire spartiate. Mouvements électroniques eux aussi basiques. Prix public annoncé : 65 euros (montre complète).
Le jeu commence avec les bracelets, qui se déclinent dans toutes les couleurs possibles et avec tous les motifs décoratifs imaginables, selon les tendances de la saison. On peut avoir plusieurs bracelets avec le même boîtier, en variant les matières, qu'il s'agisse de cuir ou de silicone (prix du bracelet supplémentaire : à partir de 10 euros, fabrication allemande ou japonaise).
On peut enfin jouer avec les « barrettes » (slides), pièces coulissantes qui permettent de relier le boîtier au bracelet. Ces barrettes vont du plus simple (matériau synthétique monochrome) au plus sophistiqué (sertissage de cristaux, voire de diamants pour quelques séries exclusives). On en change à sa guise et sans outils.
Avec deux modules de base, deux segments de bracelet §qui a dit que les deux versants d'un bracelet devaient être de la même couleur ?) et deux barrettes (pas forcément identiques), les combinaisons sont infinies. D'autant que chaque saison verra une nouvelle collection de bracelets et d'accessoires, sans compter les séries spéciales à l'occasion de tel ou tel événement (concert d'un artiste, film-choc, commande d'entreprise, boutique éphémère, etc.). Prix de base pour la paire de barrettes : à partir de 10 euros (fabrication allemande ou japonaise).
Mieux : chacun pourra commander des barrettes « neutres » à personnaliser (avec des crayons feutre spéciaux), soit pour y écrire un nom, dessiner un symbole, reprendre un motif, déposer un graffiti ou exposer un auto-collant. Même opération avec les bracelets : on imagine déjà les cœurs pour la fête des Mères, les baisers rouge à lèvres pour la Saint-Valentin et les flocons de neige à Noël.
A chacun selon ses goûts et son imagination, Internet servant de plate-forme de communication pour faire découvrir à son entourage ses créations, dans une sorte de concours permanent d'inventivité graphique et d'imagination visuelle, bien dans l'esprit des nouvelles cultures urbaines (hip hop, tags, notamment).
Sans se ruiner, on peut ainsi porter une montre qui sera, au gré de ses humeurs, classique, décalé, ludique, sexy ou arty, selon les jours, les circonstances et l'environnement. Il se crée une sorte de grammaire esthétique, qui se mue en code de communication, en vecteur de rencontres et en « signaux télégraphiques » dont il faudra un jour écrire le dictionnaire. A chaque génération ses vanités !
Dès que les barrettes seront dotées de quoi y agrafer charms, pendeloques, plumes ou petits grisgris sans prétention (pourquoi pas, aussi, des micro-joailleries détournées d'autres marques ?), chaque montre redeviendra vraiment le plus expressif - mais aussi le plus versatile - des bijoux de poignet. Ainsi le veut l'époque...
Clou de cette ébullition créative : le personnage de Wize, sorte de petite poupée issue du croisement génétique d'un manga japonais et d'un troll irlandais. Il fonctionne un peu comme le génie tutélaire de la marque et des montres, auxquelles il donne un sens et une profondeur quasi-littéraire : « Wize est un culture addict. Ope est son regard sur le monde », comme on dit dans la novlangue branchée de cette communication tribale.
Wize est « transformable » à volonté, tantôt fleur de ghetto, tantôt samouraï, parfois masculin et parfois féminin. Il n'a pas de couleur prédéfinie, ni d'uniforme, pas de continent ni d'âge : ses yeux sont potentiellement bridés (en phase asiatique), potentiellement couverts par sa casquette façon star du rap ou par ses cheveux de néo-punk.
Ce personnage vit sur Internet et dans des albums papier des aventures qui l'entraînent à la découverte du monde et des différentes cultures de cette planète : ses amis du monde entier proposent pour lui des thèmes d'aventures sur Myspace (myspace.com/wizeandope). Peut-être les vivra-t-il dans un prochain épisode. C'est à la fois naïf et touchant, très adulescent et parfaitement newstalgique.
Le concept de la montre se prolonge ainsi dans une sorte d'univers virtuel et vit ainsi dans l'esprit des Wize addicts, au-delà de la simple opération marchande chez le détaillant.
On se trouve là aux frontières du nouveau marketing 2.0, avec un quadruple dispositif d'approche : marketing direct ciblé sur les consommateurs de ce type de produits ludiques, marketing interactif entre cette cible et la marque (B to C, style guerilla marketing et dispersion virale des messages), marketing communautaire à l'intérieur même de la cible (C to C) et marketing classique (merchandising, relations publiques, presse, événements). La marque se pose ainsi en plateforme relationnelle et en « boîte à outils » : c'est ce qu'on appelle aujourd'hui du branding participatif...
Cet esprit Wize & Ope - excellent mix innovation produit-philosophie de marque - se retrouve dans la PLV de l'entreprise : petits présentoirs pour les montres, les bracelets et les barrettes, grands meubles pour les shops in shops, statuettes de Wize, posters, bandes dessinées, boutiques éphémères, événements branchés, flash mobs « spontanées » ou parrainées, crossranding ciblé, etc.
Pour les détaillants, c'est un chiffre d'appoint non négligeable et une création de trafic qualifié sur une génération qui préfère à présent regarder l'heure sur son écran d'iPod que sur une montre. Compte tenu des prix publics, l'idée est de favoriser une rotation rapide du stock, en misant à la fois sur l'impulsion, le bouche-à-oreilles et le conditionnement générationnel. On touche là aux limites de ce modèle « générationnel » : les concepts s'usent désormais très vite et la génération du zapping adore brûler aujourd'hui ce qu'elle avait adoré hier. Ce qui ne gêne pas Ben et Vic, les deux créateurs de Wize & Ope, qui ont des (bonnes) idées à revendre. G.P.
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