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Breitling est une des rares grandes sociétés à demeurer indépendante. Elle est la seule à produire toutes ses montres en certification chronomètre. Elle n’a pas de concurrent de poids dans le domaine de l’aviation. L’ensemble donne des résultats plutôt encourageants.
Les rares sociétés horlogères de renom encore indépendantes font régulièrement l’objet de rumeurs ou de convoitises. Aux côtés des Patek Philippe, Audemars Piguet et Chopard, sans même parler de Rolex (propriété d’une fondation), Breitling fait partie de ces sociétés qui intéressent tous les investisseurs désireux d’entrer ou de se renforcer dans l’univers horloger. A l’instar de ses concurrents encore indépendants, l’intérêt porté à la marque est d’autant plus vivace que la société n’exprime pas la moindre envie de changer de statut. Ce qui la rend évidemment d’autant plus désirable.
Ce n’est pas la famille Schneider, propriétaire de la marque depuis 1979, qui nous contredira puisque l’actuel président de la société, Théodore Schneider, n’accorde aucune interview à la presse. A toutes les demandes, la même réponse fuse : « merci de votre intérêt, mais ce sont les produits et la marque qui doivent parler ». Inutile d’insister ; seuls les lieutenants répondront. Dans un univers où les patrons jouent volontiers de leur image pour faire parler de leur marque, la démarche paraît plutôt singulière. Elle se rapproche – en plus rigoureuse encore - de l’attitude adoptée par la direction de Rolex qui se montre également extrêmement avare en apparitions médiatiques. Et dans les deux cas, force est de constater que cette réserve ne nuit nullement aux résultats de la société.
Occupant quelque 300 personnes réparties équitablement entre son siège de Granges et Breitling Chronométrie à La Chaux-de-Fonds, la société a vendu l’an dernier plus de 200'000 chronomètres pour un chiffre d’affaires estimé (mais non confirmé) de quelque 400 millions de francs (sans la consolidation avec les filiales). Breitling est reconnue pour la cohérence de sa démarche et la continuité de ses actions. A commencer par sa direction, 5 patrons seulement (trois Breitling et deux Schneider) en 124 ans d’existence ! Quant à la direction actuelle, elle affiche elle aussi une belle stabilité puisque Théodore Schneider est entouré depuis plus de 15 ans par Jean-Paul Girardin (vice-président) et Ben Balmer (directeur marketing). Trois hommes rejoints il y a près de 10 ans par Marianne Henriot (directrice commerciale).
Pour Jean-Paul Girardin, la stratégie suivie par la marque depuis une dizaine d’années est née d’une interrogation : comment se garantir le succès en tant que marque indépendante ? La réponse tient en trois axes : le produit, la distribution et le service après-vente. Concernant le produit, la voie qualitative a été suivie. En 1999, Breitling décide en effet de faire certifier chronomètres tous les mouvements – mécaniques et à quartz – qui équipent ses garde-temps. Elle demeure la seule marque à faire certifier le 100% de sa production. Pour rappel, le certificat de chronomètre est délivré par un organisme indépendant qui teste chaque mouvement (non encore emboîté) durant une quinzaine de jours dans six positions et à des températures différentes dans le cas des calibres mécaniques. Pour réussir ce test, le mouvement mécanique ne doit pas subir une variation supérieur moyenne à -4/+6 secondes par jour, soit une précision quatre à cinq fois supérieure à un mouvement ordinaire. De fait, la préparation des mouvements pour le COSC – environ 3% seulement des montres produites en Suisse - exige des procédés de fabrication et de contrôle extrêmement rigoureux, dès lors que les sociétés horlogères – au vu des coûts d’assemblage, de réglage, de contrôle et des tests du COSC - ne peuvent se permettre de subir un taux d’échecs élevé. En décidant de faire certifier tous ses mouvements chronographes, Breitling a été contrainte de repenser l’entier de ses processus et de mettre en place des procédés de production et de contrôles bien plus exigeants. En parallèle, Breitling a renforcé et développé son réseau de service après-vente performant. De près de 128'000 mouvements certifiés en 1999, la marque est passée à plus de 182'000 certifications chronomètre en 2006.
Comme bon nombre de sociétés dépendantes des mouvements de Swatch Group, la marque de Granges a été placée devant une nouvelle réalité en 2002 lorsque Nicolas G. Hayek annonçait au monde horloger qu’il ne livrerait plus de mouvements en kits, mais uniquement des mouvements terminés. Une décision qui prendra finalement entièrement effet en 2010. Pour Breitling, qui achète des composants pour les terminer, les améliorer et les assembler à l’interne, la question du développement de son propre mouvement s’est évidemment posée. Pas de confirmation à la direction de l’entreprise, mais l’extension – qui vient d’être terminée - de Breitling Chronométrie à la Chaux-de-Fonds indique au minimum la volonté de la marque d’intégrer davantage la fabrication de certains composants et d’augmenter sa production.
Ce spécialiste du chronographe – dans l’histoire duquel il a apporté quelques inventions majeures – ancré comme aucune autre marque dans l’univers de l’aviation, continue à miser sur ces particularismes et sur les valeurs – qualité, fiabilité, performance - qui fondent son image. Et cela fonctionne particulièrement bien en Europe (marché No 1 de Breitling), aux Etats-Unis (la marque y est particulièrement forte) et au Japon ; mais moins dans le reste de l’Asie. « Si l’indépendance nous offre la possibilité d’avoir une vision à long terme et de nous y tenir, elle implique également des choix », relève Jean-Paul Girardin. Ainsi la Chine – sur laquelle se ruent tous les horlogers - n’est pour l’heure pas une priorité pour Breitling, même si la marque y est évidemment présente et envisage à terme de s’y développer. En revanche la Russie et l’Inde sont d’ores et déjà plus sensibles aux accents de Breitling. Laquelle mise sur la stabilité de son réseau de vente qui ne devrait pas subir de profondes transformations dans les années à venir. Excepté l’ouverture de nouvelles boutiques – toujours le fait d’un détaillant local – qui sont au nombre de 8 aujourd’hui. « Ces boutiques connaissent un remarquable succès », se plaît à relever Jean-Paul Girardin, ne manquant pas de souligner que les propriétaires de ces magasins mono marques sont particulièrement intéressés à afficher d’excellents résultats dès lors qu’ils ont eux investis en ces lieux.
L’autre marque : Breitling for Bentley
Avec sa seule marque « Breitling for Bentley », la société de Granges réalise sans aucun doute un chiffre d’affaires que ne renierait pas quelques sociétés horlogères de belle notoriété. Et pourtant en 2002, lorsque Breitling annonce son partenariat avec le constructeur automobile britannique Bentley, de nombreux observateurs se montrent relativement sceptiques. La mode est alors à ces partenariats entre grandes et petites mécaniques et d’aucuns craignent de retrouver un sigle automobile de plus apposé sur un cadran. D’autres, pour qui l’image de Breitling est viscéralement attachée à l’aviation, doutent de la justesse et de la crédibilité de la démarche.
Il n’aura guère fallu plus de quelques années à la direction de Breitling pour faire taire les moins enthousiastes. « Il y avait des intérêts évidents dans cette alliance pour les deux partenaires, résume Ben Balmer. Pour une marque comme Breitling, très connotée technique, il n’était pas évident de se faire une place et une légitimité dans le grand luxe horloger. Bentley était à cet égard le partenaire idéal. Quant à Bentley, qui préparait le lancement de sa Continental GT, elle avait un urgent besoin de dépoussiérer et de dynamiser son image. Nous pouvions y contribuer. »
Plus qu’un partenariat, Breitling a tenté un vrai pari stratégique au travers de cette alliance. Car la société de Granges n’a pas choisi de développer une simple collection avec son partenaire, mais bien une nouvelle marque. Et elle est la seule – rejointe depuis peu par Panerai et Ferrari - à avoir poussé à ce point la distinction entre les produits existants et ceux développés dans le cadre de cette alliance. Le positionnement prix est différent (les montres Breitling for Bentley sont plus onéreuses), le réseau de vente l’est également, la clientèle est distincte. Quant à la communication, Breitling a fait l’effort de dissocier clairement les deux marques par des catalogues, des sites internet et des environnements produits dédié exclusivement à chacune d’elles. Si les premières montres scellant cette alliance ont été lancées en 2003 et se singularisaient notamment par des traits de design inspirés de l’univers du constructeur automobile, il aura fallu attendre 2006 pour découvrir la véritable génétique de Breitling for Bentley. A cette date, l’horloger crée la surprise en présentant le modèle «Flying B», lequel étonne non seulement par son design rectangulaire, premier boîtier «de forme» dans les créations Breitling, mais se distingue également par son mode d’affichage original, avec mécanisme à heure sautante, et son cadran raffiné jouant de reliefs et de matières.
« Cette montre reflète plus l’esprit de Bentley que celui de Breitling, soutient Jean-Paul Girardin. Chez Breitling, ce modèle aurait été une hérésie ; il est apparu comme une évidence pour Breitling for Bentley. » Déclinée désormais en d’autres versions, la « Flying B » est sans doute appelée à jouer un rôle important dans le cadre de ce partenariat « à très long terme ».
« Au final, estime Ben Balmer, Bentley a beaucoup gagné à être associée à ce projet ; et nous peut-être encore plus. » En tous les cas, le prix moyen des montres produites par Breitling a pris l’ascenseur.
Bilan / Michel Jeannot |