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Ce n’est pas tant l’importance du capital de départ qui pèse, mais plutôt le temps passé à la recherche et au développement.
Une nouvelle génération de watchmakers fait souffler un vent de dissidence sur le marché haut de gamme de l’horlogerie suisse. Une niche inexplorée, où des montres, novatrices et totalement audacieuses, très techniques, entre 50 000 et 500 000 francs, s’adressent à des connaisseurs très avertis ayant entre 35 et 45 ans. Pour ces jeunes marques leaders, avec lesquelles il faut désormais compter, un solide réseau et des clients passionnés sont le meilleur des sésames. Certains obtenant même le financement de leur premier modèle sur simple dessin. Et l’argent? «Trois ans de recherche et trois millions par an», affirme l’adage dans le milieu.
«N’importe quoi», balaie Jorg Hysek, cofondateur avec Fabrice Gonet et Valérie Ursenbacher, de HD3. Sa boîte est partie en fabrication avec 50 000 francs, «pour payer l’or de la montre». Le reste s’est fait sur la confiance. «On a eu des clients connaisseurs qui croyaient en nous.» En amont: deux ans de travail sans compter les heures et une solide réputation dans le réseau des détaillants et fournisseurs. La clé magique sans laquelle personne ne peut vraiment se hisser au top de l’horlogerie aujourd’hui. Richard Mille, premier horloger à initier cette niche, ou encore le démentiel Urwerk et ses garde-temps hors norme, en savent quelque chose.
Des barrières d’entrée très basses
Figure incontournable du métier, Nicolas Hayek confiait récemment: «Les barrières d’entrée dans l’horlogerie sont très basses aujourd’hui. Avec un modèle standard et des pièces d’Extrême-Orient, tout le monde peut faire des montres. Il appartient au client de s’éduquer. Pour le haut de gamme, c’est une autre affaire». Une idée que partage Maximilian Büsser, jeune patron du label de haute horlogerie MB & F. En deux ans et demi d’activité, sa marque cartonne. Pourtant, avec 1,4 million de chiffre de départ et deux ans sans salaire avant d’arriver sur le marché, MB & F a dû s’accrocher. Aujourd’hui, c’est la réussite avec les modèles «HM1» et «HM2».
«La déshumanisation de l’horlogerie, la présence des grands groupes ou des marques fortes qui investissent plus dans le marketing (17% du CA) que dans la recherche et le développement (la R & D), un tout petit 3% environ, nous permet à nous, jeunes créateurs passionnés, de replacer l’humain au centre du cadran», assène Lionel Ladoire, créateur de Ladoire qui lancera prochainement une montre révolutionnaire. A en croire les connaisseurs, cet «ovni» doté de son mouvement propre, s’inscrit parfaitement dans l’esprit de ces audacieux watchmakers, libres et un peu fous. Même constat pour Manufacture contemporaine du temps (MCT), créée en 2007 et qui s’apprête à lancer, avec un million de mise de départ, un modèle qui sera présenté à Bâle 2008. Pour Denis Giguet, le créateur de la marque, ce même aspect humain et pionnier est le premier moteur. Tout l’argent et le temps de ces aventuriers, sont investis en R & D, «le meilleur des marketings». Chez Hautlence, Renaud de Retz et Guillaume Tetu, les deux cocréateurs, ont investi 1,9 million pour leur «HLS». Avant, il leur aura fallu trois ans pour monter leur mouvement propre.
Folie, inventivité. Si ces nouveaux pionniers bénéficient des acquis des performances techniques et artistiques classiques, ils développent depuis trois ans une nouvelle manière de lire l’heure et réinsufflent ce qui manque désormais aux grands groupes: la pure passion de la toquante. Une aubaine pour l’économie horlogère helvétique.
Tribune des Arts / Caroline Gozzi |