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Après les salons horlogers, passons aux choses sérieuses !
Les grandes halles des salons horlogers sont désertes : c'est le bon moment pour reparler en détail des vraies nouveautés de ce printemps et pour en présenter les grandes tendances...
Ouf, c’est fini : douze jours de folie à crapahuter sous les néons, dans une tornade d’air conditionné, à mâchouiller sans faim des mini-sandwiches aux goûts préfabriqués, à claquer des bises aux attachées de presse et à retrouver dans leur stand des personnes qu’on rencontre tout le reste de l’année derrière leur bureau ou devant leur établi.
Ouf, c’est fini, mais c’est aujourd’hui que ça recommence : près d’un quintal de dossiers de presse et de revues horlogères à trier ! Ce n’est pas un record en poids : merci, les clés USB qui réduisent le fardeau du journaliste horloger. Le problème reste les revues horlogères du monde entier, toujours plus nombreuses, avec toujours plus de titres dans les pays les plus improbables (j’ai même vu un hors-série sur les montres dans un magazine de luxe… bulgare, et je ne parle pas des correspondants horlogers venus de Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan), et toujours plus épaisses (je n’avais pourtant pas l’impression, vu d’Europe occidentale, que les budgets publicitaires des marques avaient explosé à ce point).
Ouf, c’est fini : on va cesser de me raconter n’importe quoi, qu’on a mis au point une « première mondiale » pourtant déjà vue plusieurs fois au cours de ces dernières années (il suffirait de faire une recherche sur Worldtempus pour s’en assurer, qu’on est le seul à « oser » l’audacieux mélange titane poli-céramique noire-or rose (là, il suffit de regarder les vitrines) ou que tout va très bien, Madame la marquise…
Finie, l’autosatisfaction des marques et des autorités horlogères : à en croire les services de communication (y compris ceux de Baselworld et du SIHH, qui relaient bien évidemment l’optimisme de commande des exposants influents), jamais les salons horlogers n’avait enregistré autant de visiteurs et autant de commandes. Ah bon ? C’est quand même la première fois depuis des années que certains ont remarqué à quel point certaines heures étaient « calmes ». Chacun sait que les Américains sont venus en moins grand nombre et que les Européens ont traîné les pieds, même si de nouveaux visiteurs asiatiques ont fait leur premier pèlerinage à Bâle et à Genève. Disons, pour synthétiser une opinion non-conformiste et mettre le moins du monde en cause les statistiques officielles, que les visiteurs professionnels sont venus plus furtivement et sans s’attarder…
Finie, l’intoxication des directeurs commerciaux. Chacun sait aussi – mais personne ne l’avouera – que les carnets de commande ont été pour le moins contrastés. Il suffisait de parler aux agents et aux détaillants de la zone dollar pour comprendre que le malaise était patent : annulation de bon nombre de commandes passées en « pré-Bâle et pré-SIHH », modération des engagements comparés à ceux de l’année dernière, refus très net de s’engager sur des pièces chères, qui n’auraient présenté aucun risque avant l’affaire des subprimes. On peut également relever l’effet désastreux des taux de change sur certains marchés, pas vraiment prêts à encaisser des hausses de prix qui avoisinaient parfois les 30 % ! On notait la même prudence chez bon nombre de détaillants européens et une sélectivité renforcée dans les commandes asiatiques. Disons, toujours pour synthétiser, que ceux qui ont bien vendu ont très bien vendu, avec des carnets de commandes remplis pour plusieurs années faute de capacités de production accrues. Pour les autres, c’était parfois correct, mais sans plus, voire médiocre et souvent sans rapport avec les tendances de 2007. Comme on me l’a souvent répété, les commandes de ce printemps 2008 reflétaient encore l’élan de l’année précédente, mais chacun s’attend désormais à un plongeon pour le printemps 2009.
Finie, en tout cas, la béatitude dans laquelle baignaient les directeurs du marketing. Qu’on le veuille ou non, 2008 a bien été – comme je n’ai cessé de le dire et de l’écrire – l’année de la « révolution horlogère », celle où les montres sont vraiment entrées dans le XXIe siècle. Et ceci sur le triple plan esthétique, mécanique et sociologique. Les nouvelles marques – quarante-six se présentaient pour la première fois sur les salons : un record inattendu et lourd de conséquences – et les nouveaux concepts ont dynamité les certitudes les mieux assises. Ces nouvelles propositions tirent le marché vers de nouveaux horizons, et avec d’autant plus de force que les nouveaux consommateurs – qui échappent aux analyses classiques des écoles de commerce – sont devenus des guérilleros marketing ultra-entraînés et pas du tout disposés à se laisser impressionner par des marques un peu trop assoupies à leur goût. A Bâle et à Genève, on découvrait une concept watch à tous les carrefours, mais rarement chez les marques de premier plan, qui n’avaient guère pris de risques, à quelques exceptions près (Cartier, Rolex). D’un strict point de vue marketing, le présent n’est pas facile à interpréter et l’avenir encore moins aisé à décoder. Ce qui brouille un peu le message des marques et la clarté de leurs propositions. Disons, pour synthétiser ces salons 2008, que les petites marques se sont « éclatées » dans le multi-dimensionnel alors que les grandes ont simplement « assuré » dans le mono-culturel. Au final, ça fait une sacrée différence !
Donc, on passe aux choses sérieuses et on parle de montres : un bon quintal de dossiers à relire, à trier – séparer le bon grain de l’ivraie – et à engranger comme une moisson qui germera dans les semaines à venir.
Beaucoup de bonnes surprises à partager, quelques « héros » à faire connaître, des nouvelles idées horlogères à commenter et des références qui s’imposent hors des sentiers battus.
Des tendances repérées avant les salons qui se confirment : entre autres, les mécaniques digitales, les tourbillons multi-dimensionnels, les nouveaux affichages de l’heure, les complications ludiques, le sans-gêne impertinent des petits nouveaux qui viennent taquiner les anciens.
Des signaux faibles qui traduisent les tendances de l’année prochaine : l’extrémisme techno-industriel, les « concept pens » repensés par les horlogers comme des montres qui sauraient écrire, les montres de poche, les pierres de couleur, les montres « philosophiques », le co-branding entre marques de premier plan non concurrentes sur le terrain horloger.
Des évolutions décisives qui engagent l’avenir de toute la communauté horlogère : la mutation génétique des nouveaux amateurs de montres, la restructuration des réseaux de proximité (non sans crispation chez les détaillants : au bord de la révolte, le réseau français a contraint les directions suisses de quelques marques à lâcher du lest et à limoger leur responsable local), les remous sur le marché des enchères, la déstabilisation inexorable de la presse horlogère, bousculée par Internet autant que par la pression des groupes de mode…
Evidemment, on se reparle de tout cela, sur Worldtempus, dans les jours et dans les semaines qui viennent.
Grégory Pons
Worldtempus
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