Dunhill réinvente le club anglais
 
Le 12-09-2008

Traiter ses clients comme des invités. Les marques de luxe rivalisent d'idées et d'attentions pour (re)donner du sens à l'acte d'achat.
Au coeur de Mayfair, en retrait de l'agitation de Bond Street, Bourdon House, l'ancienne demeure du duc de Westminster, accueille le nouveau navire amiral de Dunhill.

Difficile ici de parler de boutique, même si ce vaste hôtel particulier en briques sombres de style classique - le bâtiment date de 1720 - propose sur trois niveaux tout l'univers de la marque britannique de prêt-à-porter masculin, propriété du groupe Richemont : vêtements, accessoires, bagages, et, présentés dans la « discovery room », ces « toys for boys » et autres gadgets qui appartiennent à l'imaginaire de la maison. A l'étage, aux côtés d'un petit musée réunissant pièces d'archives et articles vintage, les clients se voient proposer les services d'un tailleur, d'un barbier, ainsi qu'un salon de coiffure et le désormais incontournable spa. Salon, salle de projection et cave à cigares ont trouvé leur place au sous-sol.

Bourdon House, dont l'inauguration est prévue le 16 septembre, est en fait la déclinaison d'un concept qui a vu le jour à Tokyo et Shanghai, l'Asie étant le premier marché de Dunhill, présent dans une quarantaine de villes en Chine. « Le niveau d'exigence de la clientèle s'est considérablement élevé, tant en termes de service que de qualité des produits », explique le directeur marketing Julian Diment. Pour le français Yann Debelle de Montby qui les a imaginés, ces lieux « racontent l'histoire » de Dunhill. La marque centenaire, qui connut ses heures de gloire dans les années 1920 et 1930, a vu progressivement son astre pâlir en Europe. « Son image était devenue floue, le capital de sympathie était intact, mais les clients ne savaient plus toujours ce qu'ils pouvaient trouver dans ses boutiques », raconte le décorateur, qui a conçu ces « demeures Dunhill » comme « des maisons ouvertes aux amis et amis de nos amis », dit-il.


Exclusivité et bouche-à-oreille
Dunhill va très loin dans l'accueil, puisque, « last but not least », Bourdon House abrite même un club privé.

Accessible « by invitation only », Alfred's offre tous les agréments de cet autre « chez soi » du gentleman. Ses « happy few » ont la jouissance d'un restaurant à toque, d'un bar avec terrasse, ainsi que de quatre chambres, dont une suite aménagée dans les appartements privés du duc. Il va sans dire qu'Alfred's met à disposition de ses membres un service de conciergerie et de voiturage... en Bentley.

Danielle Allérès, professeur à Paris-III, qui vient d'achever une mission sur les « métiers et industries du luxe » commandée par Christine Lagarde, ministre de l'Economie, constate qu'après « la très large diffusion du luxe dans les années 1980, les marques ont cherché à redonner du sens à l'acte d'achat pour faire en sorte qu'il s'apparente à l'expression d'un art de vivre ». Dans les cosmétiques et le parfum, qui ont basculé dans la culture du « mass market », la créatrice Terry de Gunzburg (By Terry) a au contraire joué sur l'exclusivité et le bouche-à-oreille pour créer des liens avec ses adeptes reçus sur rendez-vous dans l'intimité de salons privés à l'instar des codes en vigueur dans la haute couture « pour des produits, dont le prix unitaire est sans commune mesure ».

Pour Isabelle Dubern, dont la société 10 Vendôme est spécialisée dans le traitement sur mesure des clientes fortunées des maisons de luxe, la démarche de Dunhill s'inscrit dans l'air du temps. « Vendre des produits aussi beaux et luxueux soient-ils ne suffit pas. Il faut leur faire vivre un moment particulier qu'elles associeront à l'objet qu'elles ont acheté. Et c'est particulièrement vrai lorsqu'on achète à Londres et à Paris, berceaux des marques dont les créations sont maintenant disponibles partout, de Dubaï à Kuala Lumpur. » Très demandeuses de ce type d'attentions, les princesses du golfe Persique qui, l'été, investissent les palaces parisiens. Conseils de style, séances de coiffure et de maquillage et rendez-vous particuliers chez les grands noms de l'avenue Montaigne, 10 Vendôme se charge de tout organiser. Un regret souvent exprimé par ces jeunes femmes qui n'assistent pas aux défilés : la fermeture estivale des ateliers de couture qu'elles auraient tant aimé visiter.


Dévoiler l'envers du décor
Si les grandes maisons répugnent à révéler leurs secrets de fabrication, elles ont compris l'intérêt qu'il y a pour elles à dévoiler (en partie au moins) l'envers du décor, et les savoir-faire constitutifs de leur patrimoine. Hermès a installé son atelier de commandes spéciales dans le saint des saints, au-dessus de la boutique du 24, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Idem à New York et Tokyo. Dans l'exposition « Carte blanche à Erwin Wurm », la marque livre aussi à la réflexion de ses clients le résultat du dialogue noué entre le sculpteur et photographe autrichien et la directrice de la mode masculine Véronique Nichanian (1). Un exercice de détournement du vêtement qui tranche avec la pratique devenue courante des « collaborations » entre artistes et marques du luxe.

Chez Montblanc, le fabricant de stylos, lui aussi dans l'orbite de Richemont, le déclic s'est opéré en 2007 lorsque la marque s'est lancée dans la joaillerie. « Vous ne pouvez pas vendre dans le même espace des bijoux et des recharges d'agendas et de stylos », raconte la responsable de la communication en France, Violante Avogadro di Vigliano. Boutiques agrandies, salons privés, ouvertures exceptionnelles à toute heure du jour et de la nuit : la marque s'est mise au standard de la place Vendôme. Outre leurs services de conciergerie qui se font forts de trouver une table ou une chambre dans les lieux branchés du moment, les grands joailliers comme Cartier, Boucheron ou Van Cleef & Arpels reçoivent leurs clients lors de dîners et cocktails organisés dans leurs propres salons ou à l'occasion de spectacles à l'Opéra et à Covent Garden. Au Locle, en Suisse, où sont fabriquées ses montres, Montblanc a aménagé une villa de cinq suites pour recevoir ses clients, revendeurs ou acheteurs privés. Ces derniers pourront bientôt visiter la manufacture Minerva, où sont réalisées les pièces à complications, ou l'atelier de Hambourg, pour concevoir avec un artisan « le » stylo de leur rêve.

http://www.lesechos.fr/

 

Copyright © 2006 - 2024 SOJH® All Rights Reserved