Quand les tontons «Snyper» remettent leur tribu à l’heure

«Ouvrez-moi la salle de conférence, que je récupère mes armes!» La scène se passe en plein après-midi, à quelques pas du nouveau siège genevois de la banque Pictet. Jean-François Ruchonnet, entrepreneur en série et fusiller d’élite, clôt ainsi la troisième séance de travail d’un groupe de mercenaires bien décidé à faire danser l’horlogerie à contretemps. Début août, Snyper n’était qu’une bulle dans une coupe de champagne. Six semaines plus tard le premier modèle est validé et la marque a trouvé son sex-appeal, un logo, une stratégie, les fonds qui vont avec et même un maillot de bain pour les futures hôtesses. Derrière Snyper, huit aventuriers ont dégainé leur fortune personnelle pour mettre en joue la «nuée de sauterelles» qui plonge la haute finance dans la nuit et flingue les directeurs des groupes horlogers forcés à la croissance obligatoire.

Là s’arrêtent les métaphores armurières. Snyper s’inspire bel et bien de l’univers du tireur, mais la référence se trouve du côté macho du canon, version hédoniste du «shoot and go». La bombe «multisexe» de poignet est en matériau composite, sera rythmée par un moteur «meca-quartz» et explosera en mai prochain. Les premiers modèles d’une série limitée à 999 exemplaires seront alors disponibles, sur le mode: «Tu la veux? Eh bien, tu ne l’auras pas!» Une gestion de la rareté version les copains d’abord: «La communauté fait tout. Notre force, c’est notre réseau.» Partant, Snyper se veut «une marque sur invitation», sans détaillant et sans relais de communication autre que le «buzz» alimenté par ces Clyde Barrow du garde-temps. Zéro publicité donc, tout est mis dans le produit, rien que le produit. Comme «un énorme pied de nez» tendu à un secteur qui «fait payer au prix fort sa logistique marketing».

Plus osé encore, les trend-setters ont fait le pari de défier l’actuelle marche forcée vers les plus hauts segments en proposant du Swiss made à moins de 5000 francs. Fun et abordable. Autrement dit: «Un objet pas exorbitant, qui a de la gueule et que tout le monde voudra avoir.» Car Snyper tire également à vue sur la sacro-sainte distribution, avec une stratégie d’amorçage sans concession: «Nous ne voulons pas de point de vente.» La clientèle sera donc triée sur le volet et recevra en passe-droit un ticket pour une commande unique via internet. Une vision sans frontière, à l’image de l’assurance tout-terrain des francs-tireurs. Et cette pénétration à la hussarde du marché devrait chauffer la clientèle à blanc d’ici le printemps prochain. La logique du réseautage produit déjà ses effets, la maison comptant près de 500 commandes. De quoi assurer l’équilibre de l’affaire et laisser fantasmer une suite plus sexy encore. La projection excite les compères, qui bourdonnent le dard au clair comme une ruche avant l’orage.

Dans la mêlée, Jean- François Ruchonnet (photo), par ailleurs directeur de Crealuxe et créateur de la montre Cabestan, avance seul à visage découvert. Le clan Snyper a un credo: cachez ce patronyme que l’on ne saurait savoir. Preuve qu’un brin de pudeur peut cacher une fôret de forts en gueule. La raison est simple, double même. Face soft: «Nous en avons marre des horlogers stars.» Face hard: silence radio. Légitime sans doute, au vu des parcours professionnels pour le moins sérieux, qui dans la haute finance genevoise, qui dans la crème de la sous-traitance horlogère. De fines gâchettes, assurément, chacune dans sa partie. Rien ne sert donc de chercher le directeur, le poste a été noyé dans cette mare de compétences. Mais qu’on ne s’y trompe pas, sous les signes extérieurs de jet-fêtards, les huit partenaires ont de l’ordre dans les idées. Et si le goût de la collection est le seul lien que la majorité d’entre eux entretient avec l’horlogerie, deux vrais routards de la branche sont dans les rangs. Dont Jean-François Ruchonnet, «designer fou sans contrainte», aussi habile dans le maniement des codes que précis au Colt. Psychorigides s’abstenir.


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