A Moscou, le temps des victoires
 
Le 01-10-2008

Elles sont toutes là : la Yacht Master, la Day-date, la Submariner, la Date-just... L'immense panneau publicitaire de Rolex s'étale sur la Place du Manège à l'endroit exact où il y a dix mois figurait, sur la même longueur, la phrase « Moscou vote pour Poutine ! », flanquée du portrait du président et du n°10, le numéro de la liste de son parti, Russie unie, peu avant qu'il ne gagne les élections législatives. Une ostentation qui, à l'époque, avait fini par choquer même les plus patriotes de mes amis moscovites quelque peu outrés que l'on puisse parler ainsi en leur nom.

La neige et le ciel bas de ce mois novembre 2008 ont laissé la place à un éclatant soleil de fin d'automne. La pub de Rolex n'indispose personne. Peut-être, n'est-elle pas là par hasard : elle célèbre en grand le « temps des victoires », qui ne peuvent être dans ce pays que sportives. Plus loin, au coeur de la Place rouge, une jeune femme, venue certainement de très loin, sermonne ses deux bambins dont l'un marche à peine : « Ecoutez, nous sommes ici dans la capitale de notre pays, à Moscou, tenez-vous convenablement » prilichno leur enjoint-elle. A quelques mètres de là, dans la cour de l'Université de Lomonossov, les jeunes étudiants font, eux, toujours les marioles autour de la statue du grand savant sous le regard réprobateur des vigiles et des uborchtitsy, les balayeuses de rue.

Le métro est une autre valeur sûre moscovite. Tout y est régulier et immuable, le meilleur comme le pire : les bousculades, les visages fermés, les étonnantes employées de la RATP russe, sanglés dans leur costume militaire, derrière un guichet qui porte un écriteau pour rappeler aux idiots de passage que ces dames ne sont pas là pour « donner des informations »... Mais aussi ces salles majestueuses dignes des plus grands musées du monde, la fluidité, la rapidité et l'efficacité de ces rames indestructibles et spacieuses. Seul indicateur des changements à la surface là aussi, les panneaux publicitaires. Aujourd'hui, ils sont nombreux à vanter, plutôt gentiment, les charmes de la vie de famille et des sorties en forêt. Enfin, surfant certainement sur l'actualité récente, un restaurant ossète vante ses tourtes qu'il livre « partout à Moscou », du moment que c'est à l'intérieur du MKAD, le périphérique géant qui enserre la capitale russe.

Des tourtes que l'on peut aussi consommer sur place, le resto se trouve dans le Parc des expositions, juste à côté d'un grill yougoslave, tenu par un Serbe qui, comme tous les Serbes de l'étranger que je connais, est originaire « d'une petite ville à une centaine de kilomètres de Belgrade ».

Le docteur Starosselskaïa me demande de m'allonger et me fixe intensément de ses yeux bleus : « Je voudrais que vous me dites très sincèrement s'il y a quelque chose qui vous tracasse actuellement », me dit cette cette grande femme bronzée et svelte, certainement issue d'une belle lignée de propriétaires terriens d'avant la Révolution. Elle prend ma tension, hausse un peu les sourcils, puis m'aide à remplir les formulaires : derrière sa fenêtre, un groupe de retraités fait des étirements dans la piscine en plein air Tchaïka (juste après le pont de Crimée), un autre endroit « historique » qu'une amie m'a, non sans insistance, conseillé pour mes activités aquatiques.

Des générations de Moscovites sont passées par là ! Elle avait oublié de mentionner que, comme toutes les piscines moscovites, « La Mouette » exigeait que les amateurs de brasse présentent un certificatf médical en bonne et due forme avant de pouvoir plonger dans ses eaux à 29 °. J'imaginais déjà le pire : un dispensaire de l'autre côté du koltso, des queues d'attente aigries, un médecin véreux et pas moins inquisiteur, des formalités interminables.. Lorsque j'ai évoqué mes craintes aux étudiants de la Faculté de journalisme, ils ont éclaté de rire : la spravka (certificat médical ) exigée s'obtient en trois clics sur des sites Internet spécialisés, en échange de 400 roubles et, bien évidemment, sans aucun examen médical.

Démarche illégale, mais néanmoins tolérée. Faute de connaître l'équivalent russe de « verrue plantaire », je n'ai pas voulu polémiquer ; et j'ai voulu faire kak nado dans cette ville où les enfants doivent se tenir correctement sur la Place du Manège. Le docteur Starosselskaïa dissipa mes craintes et une partie de ce stress qui accompagne inévitablement ici l'étranger : « Si vous avez des questions ou le moindre malaise, n'hésitez pas à venir nous voir, il y a toujours un médecin à la Tchaïka ». Puis, elle signa et tamponna le précieux sésame : « Revenez-nous en hiver, c'est là, dans le froid et la neige, que l'on apprécie le mieux les eaux chaudes de la piscine ». J'y penserais, docteur. Maintenant que j'ai mon premier dokument russe.


Courrier International

 

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