La discrète revanche des banquiers privés suisses
 
Le 15-10-2008

Malgré les pertes abyssales du géant UBS (Union des banques suisses), Bâle vaque à ses occupations comme si de rien n'était. Car la deuxième ville du pays n'est pas seulement celle de la chimie et de la pharmacie. C'est aussi celle de la banque privée. Un petit monde fermé dont l'histoire remonte à plusieurs siècles, où les clients sont choyés, les noms gardés secrets, et les sommes déposées taboues. Un monde où une bonne banque, c'est une banque solide et discrète. Une banque qui ne joue pas l'argent de ses clients sur des produits à risque qu'elle ne connaît pas. Une banque qui n'étale pas ses frasques sur la place publique. Une banque dont on ne parle pas dans les journaux.

Nichée au cœur de la ville ancienne, La Roche and Co occupe trois maisons de maître dans l'étroite Rittergasse, à deux pas de la cathédrale. Elle fait partie de la très sélecte Association des banquiers privés suisses qui compte quatorze membres dans le pays. Ils ne veulent en aucun cas être confondus avec les autres établissements. Ils se donnent pour règle d'« éviter soigneusement les voies les plus périlleuses ». Ils sont fiers d'avoir obligatoirement dans leurs équipes « un ou plusieurs associés indéfiniment responsables des engagements de la banque ».

Au côté de Pictet, de Lombard Odier Darier Hentsch, de Mirabaud, installées à Genève, La Roche est la plus ancienne à Bâle. Elle a vu le jour en 1787 avec pour devise : « Qui ne comprend rien à l'argent ferait mieux de ne pas y toucher ». Aujourd'hui, elle appartient toujours à la famille et est dirigée par quatre associés dont Johann Jakob La Roche et son frère cadet Andreas Michel.

Les tableaux des ancêtres, les meubles précieux, les boiseries, tout respire la haute bourgeoisie protestante. Tout est agencé pour inspirer confiance. « La Suisse va souffrir aussi et, pour les banques, la crise est très mauvaise tant pour leurs résultats que pour leur réputation », reconnaît-il. Sans vouloir jeter la pierre aux grands établissements, il regrette que ces derniers se soient lancés dans des opérations de spéculations sur des produits financiers « inventés par des chercheurs atomiques ».

Les PME restent confiantes

Il ne l'a pas fait et il s'en féli­cite. Mieux, depuis ces dernières semaines, il en profite. « Les clients reviennent vers les banques privées », note-t-il. Mais il ne dira rien d'autre, ni sur les propriétaires des nouveaux comptes, ni sur les sommes qui sont entrées dans ses coffres.

Didier Assandri, qui dirige une entreprise de sécurité informatique d'une quinzaine de personnes, Solvis Ltd, connaît parfaitement le pays et travaille souvent pour les banquiers suisses. Il confirme que « ces deux derniers mois, les petites banques ont vu arriver entre 25 % et 30 % de clients supplémentaires, soit des grosses fortunes, soit des petits épargnants ».

Johann Jakob La Roche pense aussi que « quand nous sortirons de la crise, le monde de la finance sera complètement différent, nous redeviendrons une véritable industrie de services, pas une industrie où l'on spécule pour son propre compte avec l'argent des autres ». Optimisme exagéré ?

Une récente enquête du quotidien Le Temps montre que les chefs d'entreprise suisses restent confiants. Les petites et moyennes entreprises, en particulier, se portent bien et ne connaissent pas de problèmes de crédit. L'horlogerie de luxe, notamment, n'arrive pas à répondre à la demande. Globalement, les carnets de commandes des PME sont pleins jusqu'à fin 2009. Et de conclure qu'il y a un vrai décalage entre la finance et l'économie réelle.

« Il faut faire attention cependant, les Suisses, parfois, préfèrent ne pas trop regarder ce qui se passe au-dehors de chez eux, faire comme s'ils ne voyaient rien ailleurs », tempère un industriel français sur place.

En tout cas, entre Aeschenplatz, où trône le siège de la Banque des règlements internationaux, et Bankverein, où les immeubles du Credit Suisse et de l'Union des banques suisses (UBF) se font face, l'un en verre noir, l'autre en pierre blanche, les hommes d'affaires ne montrent aucune fébrilité particulière. Et l'homme en loden beige qui sort du café Huguenin, sur la Barfüsserplatz, a bu son expresso lentement, sans même feuilleter le journal qu'il avait à portée de main.

Arnaud Rodier

www.lefigaro.fr

 

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