La débâcle financière dérègle les pendules de l’horlogerie
 
Le 15-10-2008

Au royaume du «no comment», les insiders sont rois. Et il suffit de laisser trainer l’oreille pour ressortir des couloirs le pavillon lourd comme le plomb. Exit le glamour et la valse à mille temps, l’horlogerie se prépare à la grande fessée. Les pincettes sont de mises, le gadin est prévu, mais personne ne connaît ni l’heure, ni la violence de la punition. Les signes avant-coureurs ne laissent pourtant aucun doute. En septembre dernier, Richemont annonçait déjà à demi-lèvre un ralentissement aux Etats-Unis et, une fois encore, du recul marqué au Japon. Les derniers relevés de la Fédération de l’industrie horlogère suisse ont raconté la même histoire, encore assortie d’un coup de gel sur certains marchés européens, Grande-Bretagne et Espagne en tête. Deux fleurons soit dit en passant de la croissance à deux chiffres de ces dernières années. Côté alcôves, les signaux d’alarme se font plus stridents. Un vent glacial soufflerait d’Allemagne. Plus funeste, Hong Kong serait déjà à l’heure de l’hiver nucléaire. «Toutes les commandes y sont gelées», avance sous anonymat un acteur du front. Plus sûrement, mais dans une mesure encore inestimable, l’inéluctable fonte des bonus de fin d’année des ex-cadors de la finance sonnera comme une terrible claque dès la fin de l’année.

Il est encore trop tôt pour revenir sur les titres horlogers

Vu des sièges des analystes, le phénomène déboussole autant qu’il préoccupe. Il n’est pas une semaine sans que les titres des rares sociétés listées du secteur ne soient repassés au crible de la débâcle galopante. Hier, la Banque Cantonale de Zurich remontait sa note sur Swatch Group, de garder à acheter. Dans son bulletin matinal, Rene Weber, de Vontobel, réitérait sa position à surpondérer sur Swatch Group et Richemont. Chez Helvea, Alessandro Migliorini scrute la branche, partageant avec modération – recommandation à neutre – l’enthousiasme de ses confrères sur les acteurs suisses cotés à Zurich: «Les deux entreprises demeurent en très bonne position sur le long terme, mais vont souffrir à plus courte vue.» Seul en poste mercredi, l’analyste apporte toute la nuance nécessaire à l’appréciation de la situation: «J’entends beaucoup de réponses différentes. Pour l’instant, la demande a l’air de se tenir, mais le court terme sera dur, c’est certain. Aussi certain que les marques les plus importantes continueront de se renforcer.»


Côté marques, la grande lessive est pour bientôt

Un point que Jean-Christophe Babin, à la tête de Tag Heuer (LVMH), éclaire d’une assertion: «Ce n’est pas le moment de lever le pied.» Toutes les marques ne seront pourtant pas à la même enseigne. Et la théorie de la «grande lessive» ressort comme une constante, des analystes financiers aux anonymes du sérail. Plusieurs noms ressortent déjà de la jeune écurie du Swiss made. Les poulains en plein débourrage courant derrière les capitaux sont au front. Certaines langues se délient aussi à l’évocation d’Hublot, que l’on dit «prêt pour le prochain cycle» et, pour l’heure, les deux pieds dans le marché parallèle (ou gris). Mais il est inutile de tirer sur l’ambulance.

Quelques grands labels tiennent aussi le haut du pavé côté pression. Les observateurs braquant leur mire sur les marques de volumes. Dans le camp Richemont, Cartier est en première ligne. Chez LVMH, c’est Tag Heuer qui est cité en exemple, même si son directeur s’en défend (lire ci-dessous). Qu’à cela ne tienne, l’histoire a démontré la résilience de l’horlogerie, qui n’a jamais tant souffert que lors de la crise du quartz. Pour l’heure, la claque est encore dans l’air. Mais le coup fera mal.

3 questions à J-C. Babin

Comment appréhendez-vous le ralentissement auquel tout le monde s’attend?
Tag Heuer étant très exposée aux Etats-Unis, nous avons eu une lecture anticipée du phénomène, depuis l’été dernier déjà. Pour nous, il n’y a rien de nouveau, juste une accélération.


Quels effets mesurez-vous de la débâcle financière?
Le premier effet est logique et banal: les distributeurs sont sous pression. L’équation est simple, les banques prêtant moins, la trésorerie des détaillants souffre et l’impact se fait directement sur les réassorts. Les commandes qui se faisaient de manière automatique sont aujourd’hui filtrées et différées de quelques jours. La réactivité s’en ressent, accentuant d’autant les efforts de notre force de vente. Chaque commande demande plus de travail, mais c’est indispensable. Notre marque évolue dans le domaine des achats d’impulsion. Si un produit phare manque, nous ratons l’affaire. Le second effet touche surtout le haut de gamme, dont la clientèle finale est très sensible aux fluctuations des bonus et à la réalisation de stock options. Un point qui ne nous atteint pas vraiment, l’essentiel de notre clientèle étant salariée.


Quelles mesures concrètes avez-vous mis en oeuvre?
Nous avons développé une approche de proximité tenant compte des sensibilités locales, ville par ville, point de vente par point de vente. Un travail de fourmi! L’autre pan d’action est le micro-marketing. Nous nous efforçons d’être aussi proche que possible de nos détaillants, de les motiver à prendre notre marque. Là aussi, l’approche est personnalisée au maximum et assortie d’incitations, soit financière, soit en termes de formation ou de bonus du type «miles & more». Nous avons aussi mis l’accent sur l’innovation et les produits «anticrise», en musclant l’entrée de gamme et en augmentant la valeur perçue, sans gonfler les prix. Enfin, nous nous efforçons d’accélérer une chaîne d’approvisionnement, toujours engorgée, malgré les annulations de commandes d’autres marques que nous rapportent déjà certains fournisseurs. –

STÉPHANE GACHET l'AGEFI

 

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