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Un petit séisme. C’est ce qui s’est produit dans le petit monde de la haute horlogerie lorsqu’Harry Winston a présenté l’Opus 8 au dernier salon de Bâle. D’abord, parce que cette montre enfreint à tel point les codes en vigueur que bon nombre de puristes ont crié au scandale. Proposant un affichage digital hors du commun, elle a d’emblée été classée dans a catégorie “ ovnis ”. Mais si cet objet en a fâché plus d’un, c’est surtout parce que son créateur, Frédéric Garinaud, admet sans détour ne rien connaître à l’horlogerie.
A 37 ans, Frédéric Garinaud vient de loin. Pas géographiquement (il est né dans le sud-ouest de la France), mais professionnellement. Car avant de concevoir des montres, cet ingénieur était militaire dans l’armée française.
Entré à 18 ans à l’Ecole de Maistrance Brest Naval, il devient une année plus tard officier de marine, spécialisé dans les commandos. Puis il intègre l’Ecole Navale de Brest, avant de suivre l’Ecole d’Aéronautique Navale. Jusqu’en 1999, il évoluera comme officier embarqué dans les forces aéronavales, en qualité d’ingénieur chargé de la maintenance des moteurs en vol.
Puis c’est le coup de tête. Sur un pile ou face, il décide de quitter l’armée. Une année au Conservatoire National des Arts et Métiers à Lyon lui permettra de convertir sa formation militaire. Et c’est en tant qu’ingénieur en mécanique générale qu’il s’installe comme consultant.
Le hasard fit le reste : quelques mois à La Chaux-de- Fonds, dans le domaine de la galvanoplastie, puis c’est la rencontre, providentielle, avec Giulio Papi, l’un des deux fondateurs d’Audemars Piguet (Renaud et Papi) (APRP).
Nous sommes en 2002, la seconde histoire peut démarrer.
D’abord engagé comme Responsable du bureau technique pour la gestion de projets chez APRP, Frédéric Garinaud crée et prend la tête de la Cellule des Spécialités Horlogères (CSH) en 2005. Il participe à la création de montres pour Audemars Piguet bien sûr, mais aussi pour Cartier et Richard Mille. Sa formation dans l’horlogerie est entièrement empirique.
Ce n’est qu’à la fin de 2006 qu’il entend parler de l’aventure Opus, lancée par Harry Winston six ans plus tôt. Chaque année depuis 2001, la marque s’associe à un horloger indépendant pour relever un défi : créer une montre hors de tout carcan. L’ancien militaire trouve dans ce concept un terrain d’entrainement à la hauteur de son imagination débordante.
Frédéric Garinaud et son équipe de la CSH mettront une année pour développer l’Opus 8. Et le résultat est, quoi qu’on en pense, impressionnant. Le cadran est constitué d’une plaque dans laquelle sont découpés 138 segments. Sur demande, en actionnant un verrou d’armage, la plaque s’abaisse, faisant alors apparaître en relief l’heure et l’indication AM (matin) ou PM (aprèsmidi).
Le système est librement inspiré de la planche à clous, qui fait ressortir au recto les formes qu’on lui applique au verso. Les minutes quant à elles, lisibles de cinq en cinq, s’affichent sur le côté droit de la montre, également pointées par un segment. Tout le dispositif est entièrement mécanique.
Génie pour les uns, imposteur pour les autres, Frédéric Garinaud aura en tout cas réussi, avec l’Opus 8, un formidable coup médiatique. Et à ébranler un peu l’arbre centenaire de la haute horlogerie, nourri de traditions et de certitudes.
FABRICE ESCHMANN / REVOLUTION
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